Depuis près d'un an, une tendance mondiale se dessine : en finir avec le télétravail et faire revenir les équipes au bureau. Mais est-ce seulement possible ? Ou même souhaitable ?
Depuis la crise du Covid-19, les locaux des entreprises du secteur tertiaire ont connu plusieurs bouleversements majeurs en peu de temps. D’abord organisés comme des espaces essentiellement dédiés à la production du travail, ils sont devenus des lieux fréquentés sporadiquement du fait de l’adoption massive du télétravail alterné, puis des endroits pensés pour favoriser les échanges informels et la cohésion des équipes. Pour ce faire, il était question de « réenchanter » ces lieux avec davantage de services liés au confort des travailleurs : système de conciergerie, barista à l’accueil, animations, cours de sport, etc.
Or, depuis un peu plus d’un an, on observe une tendance, identifiée dans la presse sous l’appellation de « Return to Office » (retour au bureau), venant des USA et s’étendant partout en Europe, qui incite les dirigeants d’entreprise à contraindre leurs salariés à revenir travailler sur site cinq jours par semaine. Toutefois, ce retour au bureau à marche forcée n’est pas sans soulever d’importantes questions managériales et stratégiques.
Quid du nombre de bureaux disponibles ?
Commençons par la matérialité. Lorsque les entreprises ont constaté que les salariés, dans leur très grande majorité, plébiscitaient le télétravail régulier, elles y ont perçu une opportunité d’économies substantielles et immédiates en réduisant leurs mètres carrés. En effet, si l’on garde en tête que les locaux représentent le deuxième poste de dépense pour les organisations — juste après les salaires — une telle réduction était nécessairement tentante.
Du coté des salariés, perdre son bureau attitré pour basculer en flex-office, seule solution pour une réduction significative d’espace, était bien vécu puisque cela pérennisait implicitement la rotation du personnel sur site, et donc, le télétravail hybride. Comment et pourquoi alors faire revenir les individus s’ils ne disposent plus d’un espace aussi confortable qu’avant le Covid ? Rappelons un consensus scientifique, notamment établi en médecine, autour de la question de la performance : celle-ci est directement liée à la capacité de concentration qui est à son tour liée à l’absence de bruit et de distraction.
Il convient alors de se poser les bonnes questions : est-ce que les espaces de travail proposés aujourd’hui permettent à chacun de s’isoler à l’envi ? Qu’en est-il du traitement des nuisances sonores ? Peut-on se protéger des sollicitations indésirables ?
Si le bureau expose les individus à des conditions spatiales de travail moins favorables que celles qu’ils ont su se créer à domicile, cela revient donc à nuire à leur performance. N’est-ce pas alors contreproductif de les forcer à revenir ? Que recherche-t-on de leur présence continue sur site si leur performance n’est finalement pas l’enjeu ?
Ne pas céder à l’isomorphisme
Prendre une décision n’est jamais chose aisée, surtout lorsqu’il s’agit de GRH car se tromper en la matière peut rapidement entraîner des effets délétères : baisse de l’engagement individuel et collectif, démissions des profils les plus recherchés, résistance organisationnelle et, comme cela a pu se constater au sujet du retour au bureau : grèves et manifestations devant les sièges sociaux.
Or, souvent les entreprises, ne sachant que faire face à des mouvements mondiaux comme ce retour au bureau, cèdent à la tentation de l’isomorphisme : imiter l’autre en se disant qu’au mieux il a identifié de bonnes raisons pour faire ce que l’on ne maitrise pas soi-même, et qu’au pire, s’il s’agit d’une mauvaise décision, ses effets seront partagés par tous. Mais qu’en est-il alors de la marque employeur ?
Pensez à votre marque employeur
La grande majorité des enquêtes menées convergent pour affirmer que les individus sont attachés à leur possibilité de télétravail alterné. Les raisons avancées pour cela sont nombreuses : économie de temps et d’argent pour les trajets et la restauration ; meilleure concentration par le fait de pouvoir s’isoler chez soi ; moins de stress et meilleur équilibre vie pro/vie perso ; et surtout : ce qui peut se faire dans les locaux est désormais possible n’importe où grâce aux technologies de communication. Les possibilités de télétravail sont donc vécues comme une façon de mieux travailler et mieux vivre, et elles représentent un point d’attraction dans les annonces d’emploi.
Justement, la marque employeur est une stratégie visant à rendre une entreprise à la fois différente et plus attractive que les autres en tant qu’employeur. Les deux objectifs de la marque employeur sont d’attirer le plus de candidats possibles pour embaucher les meilleurs d’une part, et de fidéliser ses talents d’autre part. De toute évidence, le retour au bureau ne va pas dans le sens d’une marque employeur efficace.
Retour complet au bureau ou pas ? il est nécessaire avant tout de verbaliser les objectifs visés par un tel choix clivant. En management, il faut se souvenir que toute entreprise a deux missions prioritaires : survivre dans un environnement de plus en plus concurrentiel et faire des profits. Ainsi, la question devrait être davantage sur les manières d’assurer l’engagement et la performance des équipes plutôt que de s’attacher à tenter de contrôler leur présentéisme.
Source Courrier Cadres - Delphine Minchella