Cinq ans après le premier confinement lié au Covid, le rôle du bureau a profondément évolué dans les entreprises. Lieu de socialisation plus que de production, il demeure nécessaire malgré l'essor du télétravail, même si le management à distance reste un défi.
Déserté du jour au lendemain du fait de la pandémie du Covid-19, puis réintégré progressivement, et généralement sur un rythme d’occupation moindre du fait de l’adoption massive du télétravail sur un mode alterné, le bureau aura connu en cinq ans une profonde remise en question qui ne paraît pas encore aujourd’hui tout à fait réglée. Entre un retour complet au bureau à marche forcée tel que certaines entreprises américaines – notamment dans la Tech – souhaiteraient instaurer, et des locaux ponctuellement vides, où en sommes-nous ? Quel est le sens du bureau cinq ans après le premier confinement ?
Des lieux qui demeurent nécessaires
La contribution professionnelle de chacun ne peut se réduire à une somme de tâches à accomplir, pas plus qu’une journée au bureau ne se limite à l’activité du seul travail. Il y a, à la marge, des éléments du quotidien qui passent parfois inaperçus, mais qui sont pourtant essentiels au bon fonctionnement de l’organisation : des transmissions d’informations, des clarifications, de l’entraide, des opportunités, des projets émergeants, du lien. Or, l’informel naît de la rencontre fortuite, ce qui implique nécessairement un lieu commun : même s’il n’est pas fréquenté quotidiennement, il doit toujours exister.
Mais ces cinq dernières années ont principalement montré que le rôle premier des locaux de l’entreprise avait profondément muté, passant du lieu quasi-exclusif de la production du travail au lieu de la socialisation qui crée l’unité organisationnelle.
Du bureau attribué à un flex-office…moins décrié
Avec un taux d’occupation des bureaux qui a chuté du fait du télétravail et du plébiscite de ce dernier, la plupart des entreprises ont transformé leurs aménagements. A l’heure où durabilité et budgets serrés sont deux enjeux majeurs, entretenir des bureaux qui n’étaient occupés que deux jours sur sept en moyenne (si l’on ajoute au télétravail, les congés et les réunions extérieures) devenait irrationnel, surtout si l’on garde en tête que les locaux représentent le deuxième poste de dépense des entreprises juste après les salaires.
Le flex-office – système qui veut que les bureaux ne soient plus attribués de manière permanente, mais disponibles pour qui en a besoin à la journée – s’est donc massivement généralisé, en suscitant, cette fois, moins de résistance de la part des usagers qu’avant la pandémie. En effet, parce que le flex office repose sur la rotation du personnel présent sur site, il y a de fait besoin de moins de bureaux qu’il n’y a de salariés, ce qui se traduit concrètement par des économies d’entretien et de mètres carrés pour l’entreprise, et pérennise ainsi le télétravail puisqu’avec une vraie optimisation des surfaces de travail, il n’est plus possible de faire revenir l’intégralité des salariés en même temps. Dans ces conditions, le retour complet au bureau parait compromis dans beaucoup d’entreprises.
Le poids des avantages identifiés
S’il s’est imposé à tous par les confinements successifs, le travail à distance – et principalement effectué à domicile – a fini par convaincre une grande partie des salariés. Les principales recherches sur le sujet ont montré que sa longue expérimentation a permis de faire émerger à la fois les ajustements personnels et professionnels nécessaires à une bonne pratique, ainsi que des avantages, parfois insoupçonnés, à se soustraire du bureau pour travailler. Parmi eux, citons le plus intéressant pour l’entreprise : le fait que désormais les individus organisent leurs tâches en fonction du lieu où ils travaillent.
Concrètement, les activités requérant de la concentration – et donc du calme et la possibilité de contrôler son environnement immédiat – seront conservées pour le télétravail, alors que les tâches plus courtes, faciles à mener et/ou impliquant des collègues seront pour le bureau. Dans cette logique, les individus se déclarent plus performants.
L’épineuse question du management à distance
Cette période aura enfin remis profondément en question le rôle du middle management. En effet, ne plus avoir quotidiennement ses équipes sous les yeux a cassé les habitudes d’encadrement qui reposaient pour l’essentiel sur la proximité physique des collaborateurs. Pourtant, même si le contexte des confinements du covid était unique en son genre, ce n’est pas la première fois que le rôle du manager était ainsi ébranlé.
Rappelons par exemple les diverses expérimentations scientifiques qui montrèrent que les équipes autonomes de travail (autonomous work group) étaient en fait plus productives, plus épanouies et avec moins d’absentéisme que les celles managées de manière classique. Or, dans ces applications où l’autonomie des travailleurs montre des effets positifs pour la performance globale de l’organisation, le manager doit nécessairement se transformer, et pour le cas évoqué, il devient alors un facilitateur, en support de ses équipes. Toutefois, repenser ainsi sa mission n’est pas chose aisée.
En bouleversant de manière radicale nos habitudes de travail, ces cinq dernières années auront accéléré de manière spectaculaire l’évolution des entreprises, mais celles-ci étaient déjà sur cette voie, car tous les éléments qui ont permis cette remarquable transformation étaient déjà là : les technologies d’information et de communication existaient, notamment les outils de visioconférence, même s’ils étaient beaucoup moins utilisés ; le flex office était aussi en usage dans des entreprises Françaises, notamment les grands groupes en région parisienne ; et les espaces de coworking montraient enfin que travailler ailleurs que dans son organisation était envisageable.
Finalement, cette crise hors norme aura fait surtout émerger des entreprises plus agiles, dont les bureaux, s’ils demeurent nécessaires, s’envisagent désormais plus comme fondateurs de l’unité organisationnelle plutôt que comme lieu productif.
Source Courrier Cadres - Delphine Minchella