L’aidance, un levier de transformation managériale

Rédigé le 10/10/2025

A l'occasion de la journée nationale des aidants, l'étude conduite par BVA Opinion pour l'Alliance professionnelle Retraite Agirc-Arrco démontre que peu de managers ont les moyens d'accompagner les salariés concernés. Des dispositifs pourtant indispensables pour conforter leur légitimité et leur efficacité managériale, ainsi que pour leur faire développer des compétences comportementales d'avenir. Explications de Thierry Calvat, sociologue du travail, et témoignage d'un manager-managé au sein de La Poste.

L’aidance concerne entre 8 et 11 millions de personnes en France, d’après le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles. Soit un Français sur cinq. Ces aidants, dont la moitié seulement se reconnaît comme telle, dédient du temps (parfois quotidiennement) à un proche malade ou vieillissant. La plupart se retrouve à devoir concilier ce statut avec leur travail. Un grand nombre n’ose pas en parler à leur employeur de peur de voir leur carrière entravée (risque d’absentéisme, de désorganisation, etc.)

Approche rationnelle et pédagogique

Dans l’étude* dévoilée lundi 29 septembre 2025 – lors du Colloque et Prix Entreprise Salariés Aidants organisé par Audiens -, deux tiers des managers déclarent que leur entreprise ne met pas en place de dispositifs spécifiques pour soutenir l’aidance. Il est fortement probable « qu’ils se sentent seuls, impuissants et tombent dans un jeu psychologique en se retrouvant aidant du salarié-aidant, commente Thierry Calvat, sociologue du travail et cofondateur du collectif « Cercle Vulnérabilités et Société ». Au départ, le manager et certains collègues vont faire preuve d’une solidarité spontanée à son égard. Mais, ils finiront par se lasser, voire par lui reprocher une surcharge de travail sans gratification en contrepartie. »

A l’inverse, si la direction donne aux managers les moyens d’agir, les conséquences négatives de l’aidance se transformeront « en mythe », poursuit-il. Toujours dans cette étude, plus de 9 managers sur dix (94 %) confirment que les dispositifs mis en place ont été « utiles », voire « très utiles ». Ils prennent des formes différentes : jours de télétravail et/ou de congés supplémentaires, réduction temporaire des heures de travail sans perte de salaire, aide financière pour recourir à des professionnels de santé, mobilité géographique facilitée pour se rapprocher du proche à aider quotidiennement, etc. Le manager « pourra expliquer la situation de manière rationnelle et pédagogique à ses équipes afin d’éviter les tensions. Puis proposer une nouvelle organisation de travail en anticipant les besoins du salarié-aidant. Dans ce contexte, l’aidance n’est plus source de préoccupation, mais devient une force contributive pour l’entreprise. »

Trois managers sur quatre ont en effet déclaré que les outils déployés par leur entreprise avaient non seulement contribué à améliorer les conditions de travail du salarié-aidant, mais aussi celui du reste de l’équipe en favorisant : un climat de sécurité psychologique (76 %) ; de l’innovation collective (65 %) ; de l’attractivité accrue lors des recrutements (64%) ; une meilleure cohésion et entraide (76%) ; de l’équité et transparence (69%) ; la possibilité pour les équipes d’exprimer leurs difficultés et leurs besoins, etc.

Une dynamique circulaire positive

Par ailleurs, l’étude révèle que cette dynamique circulaire positive impulsée par le manager finit par lui revenir. En apportant son soutien aux aidants, il prouve au reste de l’équipe qu’il est « compréhensif à l’égard des vulnérabilités », souligne Thierry Calvat. L’ensemble de ses collaborateurs – à commencer par les principaux concernés – sont d’autant plus engagés dans leur travail au quotidien, tandis que le manager renforce sa légitimité et son efficacité managériale, ainsi que ses compétences comportementales (écoute, empathie, réactivité, adaptation). « Cette expérience d’accompagnement d’aidants peut être vécue comme une formation à part entière. Le manager développe des compétences d’avenir. Ce qui augmente sa valeur sur le marché du travail de demain », affirme le sociologue du travail.

Loin des idées reçues donc, l’aidance ne se présente pas comme une source de désorganisation pour le collectif, mais bien comme un levier de transformation et de performance. Luc Robuschi, manager au sein du groupe La Poste – où un accord en faveur de l’aidance a été signé en 2018 puis en 2024 – recommande d’instaurer un climat de confiance : « S’il n’y a pas de confiance professionnelle, il y aura encore moins de confiance extra-professionnelle. Il faut pouvoir se dire les choses de manière sincère et réciproque, car nous ne sommes pas que des travailleurs, mais aussi des humains avec une vie à l’extérieur. »

Selon le manager, la mesure clé pour garantir la stabilité et la pérennité de l’activité, c’est le travail en binôme ou en trinôme. « Quand l’un s’absente, l’autre peut prendre le relais sur les tâches à réaliser sans surcharge de travail. Ce fonctionnement oblige tout le monde à s’entraider et à monter en compétences. » Les aidants, ajoute-t-il, sont « des personnes fortes qui ont l’habitude de gérer des situations complexes, de prendre beaucoup de recul. Elles ne s’absentent pas de manière inopinée. Et quand elles reviennent de congés, rigoureusement planifiés, elles sont reposées et d’autant plus investies dans leur travail. »

Flexibilité du temps de travail

L’une de ses collaboratrices-aidantes, Isabelle Contamine, 54 ans, cadre supérieure et mère d’une jeune fille en situation de handicap, témoigne : « Je devais amener ma fille chez le kiné plusieurs fois par semaine et à l’hôpital Necker une fois par mois. Heureusement, j’ai toujours été soutenue par des managers très bienveillants. Ils me faisaient confiance. Je pouvais donc m’organiser comme je le souhaitais. Certains matins, j’arrivais un peu plus tard que les autres. J’étais transparente auprès de mes collaborateurs, en leur expliquant très librement la situation sans pour autant entrer dans les détails. J’ai réussi à être présente pour ma fille et pour mes équipes. C’était important pour moi de continuer mon activité professionnelle. Beaucoup de femmes concernées par l’aidance doivent arrêter de travailler ». Un soutien managérial d’autant plus précieux lorsqu’elle s’est retrouvée en situation de double aidance avec sa propre mère.

Pour résumer, prendre en compte les situations d’aidance en entreprise agit comme un levier de transformation managériale et organisationnelle. Dans les prochaines années, les salariés seront plus nombreux à être concernés par ce phénomène. Thierry Calvat suggère d’en faire un véritable atout de leadership : « Les mentalités ont évolué ces dernières années. Mais nous devons continuer nos efforts ! »

*L’étude conduite par BVA Opinion pour l’Alliance professionnelle Retraite Agirc-Arrco a été dévoilée lundi 29 septembre 2025. L’enquête a été conduite en juin 2025 auprès d’un échantillon de 300 managers de proximité (encadrant ou ayant encadré un salarié-aidant et ceux qui ne sont pas concernés par l’aidance).

Source Courrier Cadres - Léa Lucas