Amour au travail ou harcèlement sexuel : où est la frontière ?

Rédigé le 30/05/2024

Peut-on encore faire un compliment sur son physique ou sa tenue vestimentaire à un(e) collègue de travail ?

Beaucoup de salariés pensent que c’est désormais interdit. Pourtant, il n’y a pas mieux que l’entreprise comme site de rencontre puisque 38% des couples ont connu leur conjoint sur leur lieu de travail.

Cadre Averti précise quelles sont les règles à respecter pour mener une vie privée dans le monde professionnel sans commettre d’infraction d’ordre sexuel.

L’amour au travail est permis

Heureusement que les ressources humaines ne sont pas encore des robots. Des relations totalement aseptisées sur le plan émotionnel au travail seraient d’un formidable ennui et s’il était question d’empêcher toute relation amoureuse entre collègues, la démographie française, déjà en berne (1,65 enfant par femme), chuterait encore davantage.

Le Code du travail l’a bien compris car il ne réprime en aucun cas les relations amoureuses, il n’interdit même pas de faire l’amour sur le lieu de travail !

Il est donc permis de manifester son admiration à un(e) collègue, et de le(la) complimenter sur son apparence ou sa tenue vestimentaire.

Toutefois, le premier compliment est un test. Soit il est bien accueilli et à ce moment-là il peut y avoir récidive, soit il suscite de l’embarras sinon de la répulsion et il faut stopper net.

Dans la mesure où les relations de travail entrainent une cohabitation forcée, il n’est pas question d’infliger à un(e) collègue une drague insistante ou même seulement l’expression répétée de sentiments amoureux, sauf à occasionner chez ce dernier(e) une gêne insupportable ressentie comme du harcèlement sexuel.

Peut-on obliger les salariés à déclarer les relations intimes qu’ils peuvent nouer entre eux ?

En aucun cas puisque cela relève de leur vie privée qu’ils doivent pouvoir mener en toute confidentialité au travail.

Ce n’est que dans le cas où la relation intervient entre un collaborateur et son supérieur hiérarchique que ce dernier peut être tenu en application du règlement intérieur, de déclarer officiellement la liaison existante, laquelle est en effet susceptible d’entrainer des dysfonctionnements préjudiciables pour l’entreprise, par exemple un risque de favoritisme, et également l’accusation de favoritisme si les autres collaborateurs du N+1 sont au courant officieusement. 

Un manager peut-il avoir une relation intime avec sa collaboratrice si cette dernière est consentante ?

Si l’amour partagé entre collègues n’est pas condamnable, la relation entre un N+1 et son N-1 est beaucoup plus ambiguë.

Tout d’abord, le consentement du collaborateur(rice) peut être vicié. Il est beaucoup plus difficile de repousser les marques d’intérêt de son patron, quand votre évolution de carrière en dépend.

Mais que se passe-t-il quand le manager démontre avoir obtenu le consentement de la personne qu’il poursuit de ses assiduités (ou vice-versa) ?

Il y a faute quand même, mais ce n’est pas la même.

C’est en ce sens qu’a tranché la Cour de Cassation avec un arrêt particulièrement instructif (25 septembre 2019, n°17-31.171).

Dans cette affaire, une collaboratrice se plaignait du harcèlement sexuel qu’elle avait subi de la part de son patron auquel elle reprochait d’avoir abusé de son pouvoir hiérarchique pour obtenir des faveurs sexuelles de sa part. Elle le démontrait en produisant des SMS à caractère pornographique qu’elle avait reçu sur son téléphone professionnel.

Or, le manager avait quant à lui communiqué devant la Cour d’Appel la totalité des SMS échangés avec sa collaboratrice, qui montraient que cette dernière « avait répondu aux SMS du salarié, sans que l’on sache lequel d’entre eux avait pris l’initiative d’adresser le premier message ni qu’il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi, et qu’elle avait, d’autre part, adopté sur le lieu de travail, à l’égard du salarié, une attitude très familière de séduction. »

La Cour d’Appel avait refusé de condamner le salarié pour faute grave en raison de faits de harcèlement sexuel, relevant « l’attitude ambigüe de la salariée qui avait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque ».

Toutefois, la Cour d’Appel ayant requalifié le licenciement pour faute grave, en licenciement pour cause réelle et sérieuse, le salarié revendiquait devant la Cour de Cassation son droit au respect de sa vie privée, même au travail, puisque la preuve était faite qu’il n’y avait pas eu de harcèlement sexuel.

Il n’obtenait pas gain de cause, ce au motif qu’il avait failli dans son rôle de manager. Du fait de son comportement, il avait en effet « depuis son téléphone professionnel, de manière répétée pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités ».

En cas d’agissement unique, peut-il y avoir harcèlement sexuel ?

Un harcèlement moral ou sexuel suppose des agissements répétés.

Toutefois, le « chantage sexuel », même s’il se produit en une seule occasion, entraine des poursuites pour harcèlement sexuel, tel que prévu à la fois par le Code pénal (article L. 222-33) et le Code du Travail (article L1153-1) qui distinguent :

- le délit de harcèlement sexuel par répétition de propos ou d’actes à connotation sexuelle portant atteinte à la dignité de la victime pour leur caractère humiliant ou créant une situation intimidante, hostile ou offensante ;

- le harcèlement sexuel assimilé se traduisant par toutes formes de pression grave, même non répétée dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers.

Encore une fois, c’est la relation dans la même ligne hiérarchique qui est sur la sellette.

L’amour au travail, oui, mais pas avec un(e) subordonné(e).

 

Source Cadre Averti