Les discussions autour de l’élargissement du titre restaurant à l'achat de produits de grande distribution ont remis le bout de papier au centre du débat. Dans un contexte d'inflation le gouvernement souhaite donner la priorité au pouvoir d'achat, ce qui perturbe les équilibres du secteur.
Depuis août 2022, il est possible d'acheter pâtes, conserves et légumes en supermarchés. Une dérogation est en effet accordée pour le règlement de produits non directement consommables. Le titre n’est plus réservé aux achats de produits frais ou à la restauration à emporter. Et surtout, il s'éloigne de sa vocation première: subventionner les repas pris dans des lieux de restauration.
Désormais, seuls 43,3% des titres restaurant sont effectivement utilisés dans la restauration hors domicile, selon Franck Delvaux président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) Paris-Île-de-France cité par France Info en novembre dernier. Un résultat confirmé par un sondage Viavoice commandé par la CNTR en mars. Les salariés dépensent en priorité leur titre-restaurant dans les supermarchés (36%) puis dans les restaurants (34%) et dans les commerces alimentaires (24%).
Devant l'agacement des restaurateurs qui voient leur part diminuer, le gouvernement veut revenir sur la dérogation. " Pas question de toucher au pouvoir d’achat des Français ", selon les uns. "Il faut préserver les restaurateurs et la cuisine traditionnelle ", rétorquent les autres. Mais changement de pied, un report d’un an a été entériné par la loi du 26 décembre 2023. En attendant le projet de loi prévu à l’automne dont les grandes lignes devaient être dévoilées à la fin du mois d'avril.
Un nouveau titre-restaurant encouragé par Olivia Grégoire
Désormais, le gouvernement par la voix de sa ministre Olivia Grégoire est plutôt favorable à une pérennisation du dispositif. Et pour cause: la mesure est très populaire auprès des Français, qui se prononcent à 96% pour la possibilité de pouvoir continuer à régler leurs courses avec des titres restaurants selon l'étude de la Commission nationale des titres restaurants rendue publique en avril. Difficile d'aller à l'encontre d'un tel plébiscite.
Mais autour de l’ancien bout de papier (ticket restaurant, chèque déjeuner, chèque de table, pass restaurant...) devenue de plus en plus une carte, les tensions persistent. Le marché qui pèse 9,5 milliards d’euros et compte cinq millions d'utilisateurs suscite les passions.
D'abord parce qu'il recouvre un écosystème complexe, qui implique les groupes mettant à disposition le moyen de paiement (les émetteurs), les entreprises qui le mettent en place au titre d'avantage salarial, les salariés qui l'utilisent pour régler leur déjeuner, et les commerçants qui l'acceptent comme moyen de paiement. Et enfin, l'État qui en exonérant jusqu'à un certain montant la valeur du titre de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu participe à sa diffusion.
Chez certains émetteurs historiques, on prend fait et cause pour les restaurateurs. "L'élargissement du ticket restaurant aux produits non consommables était un coup de pouce au pouvoir d'achat dans un moment de fortes tensions alimentaires. Si on se met à la place du gouvernement, on comprend ce geste en faveur du salarié", rappelle le directeur général d'Edenred, Ilan Ouanounou, interrogé par BFM Business. Tout en tempérant: "avant d'être un instrument du pouvoir d'achat, le ticket restaurant est aussi l'instrument d'une politique sociale, au service d'un déjeuner sain. Quand on s'alimente bien, on est plus productif". Et la boucle est bouclée au service de l'entreprise.
Mais les discussions sur l'alimentation saine achoppent sur la définition des termes.
Swile, acteur entré sur le périmètre en 2018, défend une autre conception de l'alimentation saine, qui ne serait pas le monopole des restaurateurs: "l'idée de pouvoir acheter des fruits et des légumes plutôt que des plats industriels tout prêts participe de l'accès à une alimentation saine. A l'heure où la gamelle revient au bureau, c'est logique", avance Loïc Soubeyrand, le fondateur. Nous sommes complètement favorables à la pérennisation du dispositif."
Et force est de constater que le rapport des Français avec leur pause déjeuner évolue. Avec le télétravail, le remplacement de certaines réunions par des visioconférences et les restrictions budgétaires, les Français ont adopté de nouvelles habitudes. Et si le retour au bureau est réel, c'est dans une moindre mesure.
Pour les restaurateurs, l'enjeu est crucial. Selon une étude du cabinet Roland Berger, parue en 2022, l’acceptation ou non des titres-restaurant, quant à elle, constitue le premier critère de choix du restaurant pour leurs détenteurs. Les titres-restaurants sont aussi de précieux "apporteurs d'affaires". Avoir ou non des titres a un impact significatif sur la fréquence à laquelle ils vont au restaurant. Les détenteurs dépensent aussi davantage: 18,5 euros en moyenne par repas, contre 15,4 euros pour ceux qui n’en ont pas.
"Il faut revenir aux fondamentaux du titre-restaurant"
Le chiffre d'affaires de la restauration hors domicile a atteint un record historique l'an dernier, mais c'est un record essentiellement tiré par l'inflation. Devant une fréquentation "assise" qui recule de 2%, les restaurateurs n’entendent pas se faire damer le pion. L’UMIH rappelle dans un communiqué son attachement à l’objet social du titre-restaurant qui doit rester une aide au déjeuner des salariés en leur permettant d’avoir une alternative à la restauration collective d’entreprise. Par des mots moins sibyllins, le texte indique:
"Il faut revenir aux fondamentaux du titre restaurant qui est là pour stimuler la fréquentation de nos restaurants".
Pour répondre à la colère des restaurateurs, des ajustements sont possibles. Et notamment celui d'instaurer un "double plafond". L'idée sous-jacente? Si le montant maximal utilisable par jour est de 25 euros, il serait possible de réduire le plafond autorisé pour les achats en grande distribution. Et de réserver ainsi le montant maximal utilisable aux restaurateurs, boulangeries et traiteurs.
Un plafonnement qui ne séduit pas le fondateur de Swile: "Rajouter un autre plafond risque de faire peser un ensemble de contraintes non souhaitables. Notre proposition de valeur, c'est la simplicité d'usage de l'utilisateur, qui doit être poussée au maximum".
Au-delà du réseau de commercialisation, le projet de loi gouvernemental doit surtout mettre fin au papier. Les titres restaurant devraient être totalement dématérialisés d'ici à 2026. Complexe, fastidieux, et générant une surcharge administrative, le papier n'a plus la cote. Les restaurateurs rechignent à les accepter, les émetteurs proposent désormais tous cartes de règlement et applications sur téléphone et les utilisateurs sont convertis au digital.
Enfin de cette façon, les titres ne risquent plus d'être perdus... "Les carnets papiers perdus représentent 40 millions de pertes pour les restaurateurs", avait rappelé la ministre sur BFMTV. Sur la dématérialisation au moins, tous les signaux sont au vert.
L'épilogue est pour bientôt. Le projet de loi "du nouveau titre restaurant" est attendu pour septembre.
Source BFM Business - Marine Landau