Le Conseil d’orientation des retraites (COR) vient de revoir légèrement à la hausse le déficit du système à l’horizon 2 030. Le sujet, lui, s’invite de nouveau à l’agenda politique à l’occasion des législatives. Pour l’économiste Michaël Zemmour, enseignant chercheur à l’université Lumière Lyon 2 et chercheur associé à Sciences Po, il n’est pas trop tard pour revenir sur la réforme, entrée en vigueur en septembre dernier.
Selon le dernier rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR), le système sera en déficit à hauteur de 5,8 milliards d’euros en 2024, et grimpera jusqu’à 14 milliards en 2030. La réforme n’a donc servi à rien ?
Michaël ZEMMOUR : Il faut prendre en compte plusieurs facteurs. D’une part un léger ralentissement économique qui pèse sur le système des retraites. Les dépenses sont maîtrisées, elles n’augmentent plus. En revanche, du côté des financements, l’État a prévu de les diminuer dans le futur. Et donc il y a besoin de trouver des ressources, qui n’est pas menaçant pour le système. Un déficit à – 0,4 % du PIB en 2030, ce n’est pas la faillite du tout (soit la prévision du COR cette année pour 2030, contre une estimation à – 0,2 % l’an passé, NDLR). Mais il faut y répondre. Oui la réforme va permettre de réaliser des économies dans les années à venir. Sans, le déficit aurait été plus important mais dans les premières années seulement car sur le long terme, il n’y aura pas tant d’économies : les gens travaillant plus longtemps, ils auront un peu plus de droits à la retraite.
En l’état actuel des choses, le retour à l’équilibre serait pour 2070, ça paraît bien loin…
Le vrai sujet, c’est d’avoir une vraie discussion sur quel type de système on veut, et sur la question centrale du financement. C’est-à-dire se donner les moyens de financer demain les retraites comme on les finance à l’heure actuelle. Si déficit il y a, c’est bien parce qu’on a choisi de diminuer les financements. La tonalité du rapport du COR est en fait un peu plus pessimiste que le précédent car globalement, il n’y a pas de grand changement.
"Abroger, non, ce n’est pas hors de portée"
Les retraites reviennent sur le devant de la scène politique avant ces législatives. Est-ce possible, raisonnable, selon vous, d’abroger la réforme qui est passée au forceps avec un âge légal de départ à 64 ans ?
En termes de faisabilité, revenir en arrière à 62 ans est tout à fait possible d’autant que la réforme a à peine commencé à s’appliquer. Pour cela, il suffit de trouver des ressources, et pas dans des proportions démesurées. Ca pourrait passer par des réductions d’exonérations ou d’exemptions de cotisation dans les entreprises, ou alors un très léger relèvement des cotisations sociales étalé dans le temps. Il y a vraiment un choix politique à faire. Ce qu’on voit en ce moment c’est que tout bien réfléchi, le RN préfère poursuivre la baisse des financements de la protection sociale, à l’instar du gouvernement. Mais revenir à 62 ans, non, ce n’est pas hors de portée.
Et pas irresponsable donc ?
Ca ne l’est pas car dès 62 ans, vous avez déjà une grande partie de la population qui n’est plus en emploi. Sans doute qu’il y a des personnes qui doivent travailler au-delà de 62 ans et qui le font déjà. Mais pour ceux qui ne travaillent pas entre 60 et 62 ans, est-ce qu’on leur ouvre des droits à 62 ans ou alors est-ce qu’on les met dans une situation difficile, au chômage ou avec les minima sociaux ?
"La marche est trop haute pour un retour à 60 ans dans l’immédiat"
De son côté, Jean-Luc Mélenchon fait d’un départ à la retraite à 60 ans un objectif, utopiste ?
De ce que je comprends, il dit qu’il s’engage à revenir à 62 ans et que 60 ans est un objectif dans le temps. Autrement dit, ne pas passer à 60 ans dans l’immédiat. Ce qui paraît plus raisonnable car la marche est très haute pour revenir à 60 ans en termes de mobilisation des financements. Une des pistes dans cette optique, serait peut-être de ne pas revenir à 60 ans pour tous pour l’âge minimal, mais de vraiment reconnaître la pénibilité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, pour permettre aux concernés de partir à 60 ans.
La réforme des retraites, c’est une histoire sans fin qu’on n’arrive pas à régler, pourquoi ?
Les retraites, c’est un gros paquebot. Donc ça ne me choque pas qu’on refasse le point tous les 3-5 ans, au fil de l’eau. Ce qui crée des crispations, notamment sur la dernière réforme, c’est qu’il y a toujours eu une sorte de mix entre trois leviers : l’âge, le financement, et le niveau des pensions. Mais le gouvernement, cette fois, a décidé de tout mettre sur un seul levier, l’âge. Je pense que rouvrir le dossier très souvent n’est pas gênant, à condition de restaurer la démocratie sociale pour éviter les passages en force.
Source Depêche du Midi