De plus en plus d’entreprises se laissent séduire par la semaine de 4 jours en France. De quoi bouleverser encore un peu plus le monde du travail, après l’adoption massive du télétravail post-pandémie. Mais avec quels effets pour les salariés ? La réponse de plusieurs experts.
C’est une petite musique que l’on entend de plus en plus dans le monde du travail français. Et si l’on passait à la semaine de travail de 4 jours ? Dès les années 1990, l’idée émerge en France, notamment grâce à Pierre Larrouturou, ancien député européen et aujourd’hui candidat aux élections législatives dans la 5ème circonscription de l’Essonne pour le Nouveau Front populaire. Depuis quelques années maintenant, et notamment la crise du Covid, la semaine de 4 jours fait de plus en plus parler d’elle, avec des expérimentations lancées au sein de certaines municipalités et entreprises.
Même les ministères s’y sont mis, avec un test de cette formule généralisé à l’ensemble de la fonction publique en ce début d’année, à la demande de Gabriel Attal. Le Premier ministre a d’ailleurs rappelé son souhait d’intensifier le recours à la semaine de 4 jours lors de la présentation, ce jeudi 20 juin, du programme de Renaissance, le parti présidentiel, pour les élections législatives. Et ce, «pour faire en sorte que l’on travaille mieux», a-t-il déclaré, en visant notamment les parents divorcés qui pourraient, en cas de garde alternée, travailler 4 jours les semaines où ils s’occupent de leurs enfants.
Mais déjà aujourd’hui, même si aucune loi n’a été adoptée pour cadrer la question, «rien n’empêche juridiquement la mise en place de la semaine de 4 jours», a relevé Lionel Vuidard, avocat associé en droit social au cabinet Linklaters, lors d’une table ronde organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), ce mardi 18 juin.
Une semaine le plus souvent «en» 4 jours, sans réduction du temps de travail
Le cas le plus connu et médiatisé est sans aucun doute celui du groupe lyonnais de vente en ligne de matériel informatique LDLC, qui a adopté la semaine de 4 jours dès 2021, avec une réduction du temps de travail de 35 à 32 heures par semaine. Mais «cet exemple n’est pas représentatif de ce qui est réellement négocié dans les entreprises», a signalé Pauline Grimaud, docteure en sociologie et actuellement chercheuse postdoctorale au Centre d’étude de l’emploi et du travail (CEET) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), devant les journalistes de l’Ajis, ce mardi. En effet, d’après une étude à paraître dans le cadre de laquelle la chercheuse a analysé les accords d’entreprise signés ces derniers mois et mettant en place la semaine de 4 jours, «la quasi-totalité de l’échantillon observé ne prévoit pas de réduction du temps de travail».
En clair, les entreprises expérimentent plutôt la semaine «en» 4 jours (avec, par exemple, un maintien sur 4 jours des 35 heures de travail hebdomadaires normalement réalisées sur 5 ou 6 jours), et non «de» 4 jours (avec une réduction du temps de travail de 35 à 32 heures par semaine, par exemple). On est donc bien loin de l’idée d’une semaine de 4 jours avec une baisse du temps de travail à 32 heures par semaine défendue à l’époque par Pierre Larrouturou, notamment dans le but de réduire le chômage de masse. Plus qu’une réelle avancée sociale, la semaine «en» 4 jours s’inscrit donc «dans la continuité du mouvement de flexibilisation du temps de travail», qui s’est intensifié depuis la crise sanitaire dans le but d’accorder davantage d’autonomie aux salariés dans la gestion de leur vie professionnelle, juge Pauline Grimaud.
D’après les travaux menés par la chercheuse, trois grands types de métiers ont recours à la semaine «de» ou «en» 4 jours :
- les services qualifiés à haute valeur ajoutée, comme la communication et l’informatique, où les métiers permettent déjà aux salariés de télétravailler, où le rythme de travail est généralement de 5 jours sur 7 et où l’on retrouve principalement des petites et moyennes entreprises ;
- les services avec un contact direct avec la clientèle, comme les services de santé ou les centres d’appel, des métiers souvent féminisés avec un rythme de travail de 6 jours sur 7 ;
- les métiers industriels et du BTP, qui ne sont pas télétravaillables.
Plus de «justice sociale» pour les salariés ne pouvant pas télétravailler
Très souvent, «un lien semble donc pouvoir être fait entre le télétravail et la semaine de 4 jours», constate Lionel Vuidard. En effet, pour certains métiers, le travail à distance est inaccessible. Sa démocratisation dans de nombreux secteurs depuis la crise sanitaire a donc été source d’inégalités entre les actifs français. «Pour des techniciens ou des ouvriers qui ne peuvent pas télétravailler, la semaine de 4 jours permet donc d’apporter un peu plus de justice sociale», estime Maxime Gourlet, directeur des ressources humaines d’Acorus, également invité de la table ronde organisée par l’Ajis.
Cette entreprise française spécialisée dans la rénovation de bâtiments, qui emploie près de 1 700 salariés, expérimente la semaine de 4 jours depuis janvier 2023. Et comme LDLC, Acorus fait figure d’exception : l’adoption de cette nouvelle organisation s’est accompagnée d’une réduction du temps de travail hebdomadaire, de 39 heures sur 5 jours à 35 heures sur 4 jours, sans baisse de la rémunération de base des salariés. Ce qui revient à augmenter de 45 minutes par jour le temps de travail de chaque employé. Après une première phase de test dans son agence de Nantes, la semaine de 4 jours a été généralisée à la quasi-totalité du groupe entre janvier et mars derniers, via un accord collectif courant jusqu’au 31 août 2025.
Résultat : des effets positifs se sont fait sentir «quasi immédiatement», avec un turn over (taux de renouvellement du personnel) qui s’est «presque arrêté», un absentéisme «en baisse» - et notamment une quasi-disparition des arrêts de courte durée, «qui ont été divisés par 5» -, ainsi qu’«une accidentologie en recul», énumère le DRH. Sur le plus long terme, «la semaine de 4 jours a aussi clairement joué sur l’attractivité de nos métiers, avec un sursaut des candidatures et le retour d’anciennes recrues qui étaient parties chez des concurrents», poursuit-il.
Fait «remarquable», en effet, «la notion de bien-être au travail des salariés est celle qui revient le plus dans les accords d’entreprise mentionnant la semaine de 4 jours», souligne Pauline Grimaud. Et les entreprises ne semblent donc pas se tromper, au vu du retour d’expérience positif chez Acorus. Mais du côté des employeurs, cette quête de bien-être pour leurs salariés est loin d’être inintéressée. «L’idée est souvent de concilier le bien-être des salariés avec la productivité de l’entreprise. Autrement dit, de concilier l’intérêt des entreprises avec l’intérêt des salariés», remarque la chercheuse au Cnam.
Alerte sur les risques pour la santé des salariés avec la semaine de 4 jours
Une sorte d’accord gagnant-gagnant ? «Des points de vigilance sont à garder à l’esprit avec la semaine de 4 jours, et notamment en matière de santé et de sécurité des salariés, auxquelles les employeurs ont l’obligation de veiller», prévient Lionel Vuidard. Prenons l’exemple du travail de nuit, «qui est lui aussi plébiscité car il permet notamment de bénéficier d’une augmentation de salaire pouvant aller de 300 à 400 euros par mois», selon Pauline Grimaud. On le sait, cette organisation du travail a «des effets néfastes sur le sommeil, le stress, les risques cardiovasculaires et de cancer», rappelle l’experte.
Or «cela risque d’être pareil pour la semaine de 4 jours», alerte-t-elle. Et ce, parce que la semaine de 4 jours sans réduction du temps de travail hebdomadaire «se traduit concrètement par un temps de travail effectif de plus de 8 heures par jour en cas de semaine de 35 heures ou de plus de 9 heures par jour pour les semaines de 39 heures. Mais ces durées excluent toutes les pauses quotidiennes. En réalité, l’amplitude des journées de travail dépasse souvent 10 heures. Il faudra donc voir comment ce rythme intensifié de travail quotidien se traduira dans les faits sur la santé des salariés», avertit Pauline Grimaud.
Source Capital