Le principe est désormais admis selon lequel un salarié licencié abusivement peut réclamer, en sus de l’indemnité de rupture encadrée par le barème Macron, des indemnités supplémentaires basées tel que le rappelle la Cour de cassation dans un arrêt récent, sur l'exécution du contrat de travail. Cette possibilité devrait inciter les salariés à faire valoir leurs droits même lorsqu'ils ont peu d'ancienneté.
Le but du Barème Macron : décourager les salariés qui ont peu d'ancienneté de contester leur licenciement en justice
Le barème Macron, instauré en 2017, fonctionne de la manière suivante :
En cas de licenciement abusif, l'indemnisation du salarié ne dépend pas de son préjudice mais de son ancienneté. Les juges doivent désormais accorder des dommages et intérêts selon les règles suivantes :
- Environ 1 mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à 10 ans (Soit maximum 10 mois de salaire pour un salarié avec 10 ans d'ancienneté).
- Ensuite, 1/2 mois de salaire par année au-delà de 10 ans, avec un plafond à 20 mois pour 30 ans d'ancienneté.
En raison de la procédure prud'homale devenue longue et complexe après la loi Macron d'août 2015, les salariés récemment embauchés renoncent souvent à faire valoir leurs droits en justice. Alors qu’ils sont les plus nombreux en raison du turnover accéléré dans les entreprises, ils sont souvent tenus d’accepter une rupture conventionnelle avec uniquement l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, en renonçant à une compensation adéquate pour leur préjudice.
La Cour de cassation rappelle que le salarié peut réclamer des indemnités complémentaires en plus de celles liées à la rupture
C’est ce qui résulte d’un arrêt du 24 avril 2024 (22-20.472) qui ne se prononce pas sur le barème Macron mais sur l’indemnité forfaitaire de conciliation, similaire au barème Macron et qui est accordée par le bureau de conciliation du Conseil des prud’hommes, à la demande des deux parties qui présentent un projet de procès verbal de conciliation.
En l'occurrence, cela a mal tourné pour la salariée. Cette dernière avait obtenu un PV de conciliation portant sur 10 mois de salaire, alors qu’elle avait 21 ans d'ancienneté (plafond pour elle de l’indemnité forfaitaire : 16 mois de salaire). Or, elle constate ultérieurement que l'employeur, alors qu’il n’avait pas renoncé à la clause de non concurrence, refuse de lui payer son indemnité de non concurrence. Elle saisit donc le Conseil des prud’hommes de Paris, qui lui alloue son indemnité de non concurrence. En revanche, la cour d’appel de Paris la lui refuse au motif que le projet de procès verbal présenté par les parties devant le bureau de conciliation prévoyait un désistement d’instance et d'action portant sur toutes les créances “nées ou à naîtres” (l’indemnité de non concurrence étant une indemnité à naître puisque son paiement intervient postérieurement à la rupture) .
La salariée tente alors sa chance devant la cour de Cassation avec des éléments sérieux :
- À l'évidence, au regard des dates, l’accord transactionnel avait été conclu avant la notification du licenciement (ce qui est interdit par la cour de Cassation) et l’employeur avait profité du calendrier accéléré pour se soustraire au paiement de l'indemnité de non-concurrence. En effet alors que la notification de la lettre du licenciement, datée du 9 novembre 2018, n’avait pu intervenir que le lundi 12 novembre 2018, le Procès verbal de conciliation est intervenu le 28 novembre 2018, ce qui suppose qu’entre le 12 et le 28 novembre les parties aient pu se concilier, établir la requête saisissant le conseil des prud’hommes et recevoir de ce dernier une convocation pour l’audience le 28 novembre 2018 !
- Or à cette date là, la salariée qui n’avait pas reçu son premier bulletin de paye lui versant son indemnité de non concurrence alors qu’elle avait été licencié pour faute grave, ne pouvait identifier que l'employeur entendait se retrancher derrière le désistement d’instance et d'action figurant dans le procès verbal de conciliation du 28 novembre 2018, pour la spolier de son indemnité de non concurrence.
Pourtant, la cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel selon la motivation suivante : “Ayant ensuite constaté que les parties avaient convenu du versement à la salariée d'une indemnité globale, forfaitaire, transactionnelle et définitive, et que l'accord valait renonciation à toutes réclamations et indemnités et entraînait désistement d'instance et d'action pour tout litige né ou à naître découlant du contrat de travail et du mandat de la salariée, la cour d'appel en a exactement déduit, sans avoir à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, que les obligations réciproques des parties au titre d'une clause de non-concurrence étaient comprises dans l'objet de l'accord.”
Certes, il est regrettable pour la salariée qu’elle n'ait pas eu gain de cause. Mais il n’est pas question de permettre aux parties de remettre en cause l’autorité de la chose jugée attachée au procès-verbal de conciliation du conseil des prud’hommes. En revanche à l’occasion de cet arrêt, la cour de cassation précise que “les parties qui comparaissent volontairement devant ce bureau peuvent librement étendre l'objet de leur conciliation à des questions dépassant celles des seules indemnités de rupture”.
Quelles autres indemnités peuvent être réclamées en sus des indemnités de rupture ?
Il s’agit bien entendu de toutes les indemnités à caractère de salaire :
- Arriérés de congé payés
- Bonus ou rémunération variable
- Heures supplémentaires
- Indemnité de non concurrence, etc.
Mais au-delà des indemnités à caractère de salaire, il y a possibilité de réclamer des indemnités couvrant un préjudice autre que celui de la rupture du contrat de travail encadré par le barème Macron tout en restant dans le cadre du licenciement abusif et non pas de la nullité du licenciement (puisqu'à ce moment-là le barème Macron est écarté).
Ainsi, à titre d’exemple la cour de cassation a expressément reconnu que le salarié licencié dans des conditions vexatoires pouvait réclamer des dommages et intérêts distincts de ceux au titre de l’indemnisation de la rupture (barème Macron) et donc s’ajoutant a cette dernière. En effet, si l'employeur est condamné ce n’est pas au titre du licenciement abusif mais au titre de l'exécution du contrat de travail y compris quand il touche à sa fin.
Le salarié est donc bien fondé à solliciter des indemnités spécifiques au titre de l'exécution du contrat de travail, s’ajoutant aux dommages et intérêts pour licenciement abusif. Il s’agit alors généralement de la réparation d’un préjudice moral causé par l’attitude dolosive de l’employeur :
- Harcèlement ou Discrimination (hors demande de nullité du licenciement)
- Brimades
- Rétrogradation
- Non respect de l’obligation de sécurité
- Atteinte à la réputation, etc.
Les indemnités supplémentaires réclamées au titre de l'exécution du contrat de travail peuvent-elles compenser les effets du barème Macron ?
Malheureusement, en partie seulement. Certes les salariés disposant de peu d'ancienneté seront davantage incités à saisir la justice en cas de licenciement abusif, sachant que les dommages et intérêts pour mauvaise exécution du contrat de travail peuvent être plus importants que ceux résultant de la rupture.
Toutefois, cela ne compensera pas les effets pervers du barème Macron pour un salarié qui subit un énorme préjudice du fait de son licenciement alors qu’il n’a pas d'ancienneté, tel le commercial chevronné d’un certain âge embauché par un employeur cynique qui entend s’en séparer dès qu'il se sera approprié son carnet d'adresses, en lui imposant une clause de non-concurrence.
A l’heure actuelle, il est reproché aux avocats de salariés de “déployer des stratégies alternatives” de plus en plus sophistiquées, pour contourner le barème et il serait même question “d’accentuer la formation juridique des conseillers prud’hommes” pour y faire face. Une autre solution serait d’écarter le barème Macron comme le réclame l’Europe depuis la décision du Comité européen des droits sociaux du 23 mars 2022. Au lieu d’entraver les juges en leur imposant un barème totalement artificiel basé sur l'ancienneté, on leur rendrait leur faculté de juger, et donc d'apprécier le préjudice et de l’indemniser, en tenant compte des circonstances de fait.
Source Cadre Averti