Abrogation de la réforme des retraites : la proposition de loi de la France insoumise peut-elle passer ?

Rédigé le 05/08/2024

En cas d'accession à Matignon, le Nouveau Front populaire a promis d'abroger la réforme des retraites. LFI a déjà déposé une proposition de loi qui pourrait toutefois se heurter à l'article 40 que le camp présidentiel ne manquera pas d'invoquer.

Un peu plus d'un an après sa promulgation, la réforme des retraites est-elle toujours menacée? Vainqueur des élections législatives anticipées, le Nouveau Front populaire a promis d'abroger le texte décalant l'âge légal de départ à 64 ans. Candidate de l'union de la gauche au poste de Première ministre, Lucie Castets a d'ores et déjà dévoilé sa méthode, expliquant vouloir d'abord agir par décrets si elle était nommée à Matignon, avant de déposer un projet de loi en bonne et due forme.

Les décrets ne seront en effet pas suffisants. S'ils sont utiles pour agir rapidement, notamment en l'absence de majorité absolue, les décrets "ne peuvent pas modifier la loi", rappelle la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. Ils peuvent en revanche permettre au NFP de reporter dans un premier temps l'application de la réforme des retraites.

L'article 40 de la Consitution au cœur du débat

Il faudra ensuite nécessairement passer par une proposition de loi qui sera discutée au Parlement pour revenir à un âge légal de départ de 62 ans. Un texte en ce sens a déjà été déposé par La France insoumise. Ceux qui s'y opposent disposent néanmoins d'une arme qui pourrait faire capoter le projet du NFP: l'article 40 de la Constitution. C'est précisément cet article qui a permis en juin 2023 à Yaël Braun-Pivet d'empêcher toute discussion de la proposition de loi du groupe Liot qui prévoyait déjà d'abroger la réforme des retraites.

L'article 40 "sert généralement à écarter les dispositions de la loi concernant le financement", souligne Anne-Charlène Bezzina. Cette procédure "consiste à donner au gouvernement et aux parlementaires le pouvoir de déclarer irrecevables -c'est-à-dire d'empêcher tout dépôt et toute discussion- des amendements ou une proposition de loi dès lors que ces ou cette dernière ont pour conséquence d'aggraver une charge ou diminuer les ressources publiques", poursuit la constitutionnaliste.

Dit autrement, l'ancienne majorité opposée à l'abrogation de la réforme des retraites pourrait invoquer l'article 40, arguant que la proposition de loi du NFP serait préjudiciable pour les finances publiques déjà en piteux état.

Le NFP majoritaire au Bureau de l'Assemblée nationale

Reste que le rapport de force n'est plus du tout le même depuis les élections législatives anticipées, ce qui risque de rendre la tâche du camp présidentiel beaucoup plus compliquée. L'article 89 de l'Assemblée nationale prévoit en effet qu'une proposition de loi doit d'abord être déposée sur le Bureau de l'Assemblée. Ce sont alors ses membres qui, à ce stade du parcours législatif, jugent de la recevabilité financière du texte. Or, c'est désormais le Nouveau Front populaire qui occupe plus de la moitié des postes du Bureau. En clair, "la composition actuelle du Bureau pourrait être favorable à la proposition de loi" abrogeant la réforme des retraites, résume Anne-Charlène Bezzina.

L'étape du Bureau passée, la proposition de loi ira en commission. À cette étape, le président LFI de la commission des Finances, Eric Coquerel, comme le rapporteur général du budget, Charles de Courson, tous deux opposés à la réforme des retraites, devraient se prononcer pour la poursuite des discussions. Membre d'Horizons, le président de la commission des Affaires sociales, Paul Christophe, pourrait au contraire tenter de faire supprimer les articles qu'il juge problématiques en vertu de l'article 40, et donc remettre en cause l'abrogation de la réforme des retraites.

S'il y parvient et que l'union de la gauche "souhaite réintroduire sa proposition par amendement, comme cela avait été le cas pour la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites du groupe Liot", c'est la présidente de l'Assemblée, en l'occurrence Yaël Braun-Pivet, qui pourra, seule, écarter les amendements qu'elle considère "irrecevables", décrypte Anne-Charlène Bezzina.

C'est donc un bras de fer qui pourrait s'engager en commission. Mais même "s’ils sont passés à travers les gouttes, les amendements peuvent ensuite au stade de la discussion en séance publique, être contrôlés par le Président de l’Assemblée et ainsi être jugés irrecevables", indique la constitutionnaliste.

Un parcours qui s'annonce long

L'article 40 peut être sorti à n'importe quel stade de la discussion au Parlement, sur l'initiative du gouvernement ou d'un député. Y compris au moment des discussions en séance publique. Pour s'en protéger, la France insoumise a intégré à sa proposition de loi plusieurs gages financiers "permettant de largement compenser le maintien de l'âge de départ à 62 ans", comme le rétablissement de l'impôt sur la fortune. La crédibilité de ces gages peut toutefois être contestée.

"Néanmoins, cette pratique du gage a toujours été plutôt favorable à la recevabilité des propositions. Surtout au vu de la composition favorable du bureau et de la commission des finances, il apparaît que ce gage pourrait 'suffire' à sauver la proposition de loi", estime Anne-Charlène Bezzina.

D'autant que si la présidente de l'Assemblée nationale peut intervenir au stade de la discussion générale en séance publique, elle doit en principe recueillir l'avis du président de la commission des Finances ou de son rapporteur général à qui revient l'appréciation in fine. Or, à nouveau, la couleur politique de ces deux membres "est favorable à la recevabilité de la proposition", juge la constitutionnaliste.

En définitive, Anne-Charlène Bezzina constate que "la composition politique des organes directeurs" de l'Assemblée nationale plaide en faveur de la recevabilité la proposition de loi. Mais "je pense que plusieurs procédures pourraient se cumuler" pour contrecarrer le projet du NFP, indique-t-elle. Notamment au Sénat, à droite, qui pourrait aussi dégainer l'article 40. Sans compter le Conseil constitutionnel qui pourrait lui aussi être saisi après le vote de la loi et appliquer à son tour l'article 40. "Le parcours me semble donc encore long, même si incontestablement, la proposition de loi a plus de chance d'aboutir que n'en avait celle du groupe Liot", conclut la constitutionnaliste.

Encore faut-il que le NFP parvienne à obtenir Matignon. Dans le cas contraire, l'union de la gauche n'aurait pas la main sur le calendrier parlementaire. Surtout, c'est le Rassemblement national qui a obtenu la première niche parlementaire qui lui permettra le 31 octobre de décider de l'ordre du jour et d'y inscrire sa propre proposition de loi pour abroger la réforme des retraites. Le NFP qui a toujours refusé de voter un texte venant du RN se retrouverait alors dans une position délicate.

 

Source Paul Louis – BFM Business