Face à la désuétude rapide des compétences, les entreprises n'ont d'autres choix que de trouver des solutions afin de maintenir l'efficacité de leurs équipes. Mais, comment s'y prennent-elles ? Et surtout, y arrivent-elles ? Débat entre Sylvain Martinet, responsable du développement humain chez Apicil, et Isabelle Barth, chercheuse en sciences du management.
Deux ans. C’est la durée de vie moyenne d’une compétence technique en 2024, contre 30 ans en 1987, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au-delà de cette durée, la compétence perd en utilité et doit être réactualisée ou remplacée par un autre savoir-faire.
Mettre en œuvre des dispositifs pour maintenir le niveau d’employabilité élevé des collaborateurs est « fondamental », selon Sylvain Martinet, responsable du développement humain chez Apicil. « Les entreprises ont une responsabilité : une politique de mobilité interne, ça se décrète. Il n’est pas éthique d’aller chercher systématiquement les compétences en externe. Les entreprises doivent profiter de leur vivier de talents en interne en les faisant évoluer professionnellement. L’avantage, c’est qu’ils connaissent leurs forces et faiblesses, savent quoi leur proposer pour atteindre de nouveaux objectifs. »
Déconstruire les fausses croyances
Le premier levier à actionner est donc la déconstruction de fausses croyances, poursuit-il : « Souvent, les salariés s’auto-censurent, car des idées préconçues circulent dans le monde du travail. Ils pensent, par exemple, qu’il est difficile de passer d’un métier à l’autre. Ou bien, ils sont confrontés à un plafond de verre à cause d’un manager qui les limite dans leurs aspirations professionnelles. Lever les barrières mentales de l’ensemble des collaborateurs, pour s’élever collectivement, est déjà un premier gros travail. »
Ensuite, les formations sont « nécessaires » à l’évolution professionnelle, affirme-t-il, afin que les managers et leurs salariés prennent en responsabilités et / ou changent de mission sereinement. Néanmoins, elles restent « insuffisantes. » Selon le dirigeant, le plus important, « est de mettre tous ces apprentissages en application, de se confronter véritablement, et de manière régulière, à de nouvelles situations. » À travers des réunions tous les deux mois, ainsi qu’un outil en faveur de la carrière, auquel les services RH ont accès, l’assureur tente de faire « corréler les besoins de l’entreprise aux compétences et aspirations de chacun. »
Problématiques budgétaires
De son côté, Isabelle Barth, chercheuse en sciences du management et autrice du livre La Kakistocratie ou le pouvoir des pires. Voyage au cœur de l’incompétence, est plus septique : « Quand tout va bien, les entreprises ne forment pas leurs collaborateurs. Puis, quand elles se rendent compte que leurs compétences sont obsolètes, il est presque déjà trop tard pour répondre aux attentes du marché. » De plus, les formations coûtent cher, rappelle-t-elle : « De nombreuses entreprises ne peuvent pas se permettre d’accéder à ces programmes. Le développement des compétences de leurs équipes ne passent pas au premier plan. » Conséquence ? « Les bons éléments quittent l’entreprise, et les mauvais restent. »
Sylvain Martinet veut croire que d’autres solutions existent : « Nous proposons également des CDD « internes » afin que les salariés désireux de découvrir un nouveau poste et / ou un nouveau métier puissent l’exercer pendant un temps déterminé. Si l’expérience leur a plu, qu’ils désirent rester sur ce poste, nous faisons tout notre possible pour leur proposer une situation pérenne afin d’éviter toute forme de frustration. »
Enfin, en 2024, l’entreprise a proposé à ses quelque 2 500 salariés, et ce pour la troisième fois, une semaine dédiée à l’évolution professionnelle. « L’idée est de leur donner envie de se former, de se renseigner sur des sujets anxiogènes, comme l’intelligence artificielle ou l’emploi des seniors, de participer à des « vis ma vie », afin de se mettre à la place de leurs collègues, et ainsi de mieux appréhender leurs missions », détaille-t-il. D’après lui, l’enjeu autour du développement de compétences « est un travail de longue haleine. »
Isabelle Barth déplore qu’aujourd’hui encore, « les entreprises mettent trop souvent aux postes stratégiques des personnes par affinités, et non pas pour des compétences avérées. Quant aux salariés compétents, ils ne se voient pas proposer d’évolution ou de promotion, car les managers ont trop besoin d’eux à des postes complexes, où ils auraient du mal à les remplacer. Il est aussi fréquent que ces personnes compétentes commencent à gêner, car elles pourraient prétendre au poste de leur supérieur hiérarchique, moins compétent. La recherche de compétences et l’exigence à l’égard de celles-ci est toute relative ».
Source Léa Lucas – Courrier Cadres