Face à des environnements de plus en plus complexes, une nouvelle compétence émerge : l’eupathie. Inspirée des enseignements stoïciens, cette capacité à « bien endurer » l'adversité pourrait bien devenir un atout précieux pour les managers. Comment l’eupathie peut-elle les aider à mieux surmonter les défis de demain ?
L’eupathie est un concept méconnu, mais puissant, qui combine les racines grecques eu (« bien ») et pathos (« souffrir, endurer »). Contrairement à la résignation ou au fatalisme, elle repose sur une préparation active et une capacité à accueillir les événements avec calme et maîtrise. « L’eupathie n’est ni un renoncement ni une acceptation aveugle, » explique Clément Bosqué, directeur Île-de-France à la Fondation INFA et doctorant en philosophie, « c’est une approche issue des stoïciens pour appréhender ce qui advient avec force intérieure. » Serait-ce la nouvelle soft skill émergente pour affronter les défis contemporains ? Clément Bosqué en explore les différentes facettes et explique leur applicabilité dans la sphère managériale.
Se préparer mentalement et émotionnellement aux défis
La première dimension de l’eupathie est la préparation mentale aux situations difficiles. Dans le stoïcisme, la praemeditatio malorum (pré-méditation des maux) est un exercice consistant à envisager les défis possibles pour mieux les accueillir. Cette préparation renforce la résilience en permettant aux leaders de gérer l’imprévu sans être submergé par l’émotion. « La praemeditatio malorum n’est pas un acte de pessimisme, mais une stratégie de lucidité. Elle permet de stabiliser l’esprit et de mieux naviguer au quotidien, » souligne Clément Bosqué. Pierre Hadot, philosophe et historien de l’Antiquité, décrit cette pratique comme une manière de « restaurer la tranquillité de l’âme » face aux difficultés. Pour un manager, anticiper de tels obstacles peut se traduire par la visualisation de divers scénarios avant une réunion complexe ou un échange délicat. Cette capacité d’ancrage devient alors un outil précieux pour maintenir le calme dans un environnement marqué par le changement et l’incertitude.
Exemple pratique :
« Dans un environnement imprévisible, la préparation mentale est essentielle », insiste Clément Bosqué. En début de journée, un manager pourrait prendre quelques minutes pour anticiper les situations à venir. Cet exercice de visualisation l’aide à maintenir son calme et à affronter les imprévus.
Apprécier l’adversité à sa juste valeur
La deuxième composante de l’eupathie consiste à percevoir l’adversité non comme un obstacle, mais comme une opportunité d’apprentissage. En entreprise, cela se traduit par une capacité d’adaptation et une ouverture à l’inconnu. « Si l’eupathie offre cette posture d’ouverture, de curiosité et de lucidité, les défis professionnels ne sont donc pas à fuir ! Au contraire, ils représentent des occasions d’apprendre », déclare Clément Bosqué. Cette approche rejoint le concept d’entreprise apprenante, où chaque salarié est encouragé à tester (et se tromper) et à se former en continu. Cette adaptabilité enjoint également les managers à prendre leurs décisions autrement : « La prise de décision est le fruit d’une réflexion préparatoire, d’une analyse des conséquences et d’une évaluation de ce qui est bon pour le collectif », précise Clément Bosqué. Aristote nomme cet intermède réflexif la prohairesis (volonté délibérée) : il s’agit d’un choix conscient et réfléchi, en opposition aux réactions impulsives face aux difficultés. Par exemple, dans un comité de direction, cette posture permet aux décideurs de prendre du recul avant de trancher, s’assurant ainsi que chaque décision est bien argumentée et alignée avec les valeurs de l’organisation.
Exemple pratique :
Lorsqu’un manager se prépare à une décision importante, il pourrait organiser une session de réflexion collective avec ses équipes pour clarifier les objectifs et évaluer les options. En posant des questions comme « Qu’est-ce que je cherche à accomplir ? », il anticipe les défis et renforce la qualité de la décision.
Apprendre à aimer ce qui nous arrive
La troisième composante de l’eupathie fait référence à un concept nietzschéen : l’amor fati ou « l’amour du destin ». Il s’agit d’un idéal de vie qui consiste à accepter pleinement la réalité, avec ses joies et ses souffrances. « En management, l’amour du destin invite à voir les opportunités même là où elles semblent absentes », observe Clément Bosqué. Au lieu de lutter contre les situations difficiles ou les conflits inhérents aux collectifs de travail, le manager peut ajuster son regard pour accueillir la situation et en tirer le meilleur parti. « Cela implique, par exemple, de percevoir les talents des collaborateurs au lieu de se focaliser sur les manques. » Cela revêt une importance particulière dans le contexte actuel : chaque année, deux tiers des salariés français sont confrontés à des conflits au travail, selon le premier Observatoire du coût des conflits au travail de septembre 2021. Ces données montrent l’urgence d’adopter des postures managériales plus « eupathiques » pour maintenir un climat de travail apaisé.
Exemple pratique :
Face à un conflit ou une situation tendue, un manager guidé par l’eupathie pourrait encourager chaque membre de l’équipe à participer activement à la résolution du problème. En prenant du temps pour que chacun s’exprime, le manager adopte ici une posture de facilitateur qui renforce l’autonomie et la coopération au sein de l’équipe. Cette démarche transforme une situation conflictuelle en opportunité de renforcement des liens et de collaboration.
L’eupathie, bien qu’issue d’une réflexion philosophique, s’avère une précieuse compétence pour les managers contemporains. En les aidant à mieux se préparer, à valoriser les défis et à accepter les événements tels qu’ils sont, cette posture propose un chemin vers une gestion plus sereine et plus consciente.
Source Courrier Cadres