Le décret d'application sur l'abandon de poste, qui entérine la suppression des indemnités chômage pour les salariés concernés, avait été contesté par la CGT notamment.
Depuis avril dernier, l'abandon volontaire de poste par un salarié est assimilé à une démission. Il n'ouvre donc pas le droit aux allocations chômage alors qu'auparavant, sauf pour faute lourde, un abandon de poste débouchait sur un licenciement pour faute grave et permettait de les percevoir.
Et de fait, selon une étude de la Dares publiée en février 2023, 70% des licenciements pour faute grave auraient pour motif un abandon de poste.
Il s'agit là d'une des mesures de la loi "portant mesures d’urgence relative au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi", voulue par le gouvernement. Cette mesure a été validée par le Conseil constitutionnel. Le décret d'application a été publié, la loi est donc entrée donc en vigueur officiellement.
En rien "un projet de réforme"
Mais le décret avait été immédiatement contesté par des syndicats, dont la CGT qui a alors saisi le Conseil d'État pour obtenir son annulation. Ce dernier vient de trancher: le dispositif est validé.
Pour l'autorité administrative, ce texte "se borne à fixer les modalités d’application de la loi" et n’est donc en rien un "projet de réforme qui aurait dû être soumis à une concertation préalable".
Le décret d'application précise les nouvelles modalités. "L'employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission (...) le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste" dans un délai de 15 jours.
Ce délai était également contesté par les syndicats. Pour le Conseil d'État, il s'agit d'"une durée et un point de départ clairs, qui ne sont ni contraires à la loi ni manifestement erronés".
Le législateur a néanmoins prévu que cette présomption de démission puisse être annulée si l'abandon de poste a été provoqué par des manquements de l'employeur (harcèlement, problème médical par exemple). "La présomption de démission ne peut donc jouer dans ces situations", confirme le Conseil d’État.
"Aberration juridique"
Dans le même temps, "le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. (...) Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine".
Pour autant, ces protections sont jugées insuffisantes, notamment par Michèle Bauer, avocate spécialisée dans le droit du travail, qui juge que cette mesure est "une aberration juridique".
"En effet, la présomption de démission n’existait pas jusqu’à cette loi validée par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation avait érigé un principe: "la démission ne se présume pas"", écrit-elle.
"Le terme démission pour l’abandon de poste est un terme impropre puisque le salarié qui abandonnera son poste est en absence injustifiée, on ignore s’il avait la volonté ou pas de démissionner", explique l'avocate.
"Il peut avoir simplement oublié de justifier son absence", poursuit Michèle Bauer. Ou "il suffit simplement que le salarié n’ait pas justifié de son absence ou qu’il en ait justifié et que l’employeur ne l’ait pas reçu (un mail perdu dans les spams par exemple)".
Quant à la saisine des prud’hommes, l'avocate estime que cette juridiction "ne pourra jamais statuer dans les délais. Les conseils de prud’hommes sont à l’agonie comme toutes les juridictions, le manque de moyens ne permettra pas la rapidité". En réalité, cette mesure est une complication pour les employeurs, estime l'avocate.
Les licenciements pour inaptitude pourraient bondir
"Le salarié pourra argumenter en affirmant qu’il n’avait pas l’intention de démissionner, l’employeur vivra donc avec une épée de Damoclès sur la tête pendant toute la durée de la prescription", souligne Michèle Bauer.
"Une insécurité juridique est présente dans ce texte pour les employeurs qui n’ont pas accueilli cette réforme par des applaudissements, ils sont restés silencieux."
Côté salarié, l'avocate rappelle que "l’abandon de poste était souvent le dernier recours pour les salariés en souffrance au travail qui ne voulaient pas démissionner. C’était également une possibilité pour l’employeur et le salarié de se quitter en y trouvant chacun son compte: le salarié pouvait bénéficier des allocations Pôle Emploi et l’employeur ne payait pas l’indemnité de licenciement ni l’indemnité de préavis".
Pour l'avocate, les salariés pourront contourner cette mesure. "Gageons que les arrêts maladie se multiplieront" et déboucheront sur une "augmentation des licenciements pour inaptitude" (qui permettent de toucher des allocations chômage).
"L’employeur et le salarié seront perdants: l’employeur devra l’indemnité de licenciement et devra gérer les absences du salarié malade. Le salarié quant à lui aura perdu sa santé, il sera plus difficile pour lui de retrouver un emploi."
Source BFM Business - Olivier Chicheportiche