Addiction à l’alcool : « Il y a plus de salariés concernés que ce que l’on croit »

Rédigé le 10/01/2025

Comme chaque année, le "dry january" a débuté. Après de possibles excès pendant les fêtes, l'objectif est de stopper toute consommation d'alcool. Selon Laurence Cottet, autrice de "Non ! J'ai arrêté" (Dunod), l'entreprise a une responsabilité à jouer auprès des salariés concernés par cette addiction. Témoignage.

Il y a une quinzaine d’années, elle s’est écroulée sur scène devant des centaines de personnes lors de la cérémonie des vœux de son entreprise. Laurence Cottet, ancienne dirigeante au sein d’un groupe de BTP, autrice du livre Non ! J’ai arrêté (Dunod), et fondatrice d’un cabinet de conseil en addictologie, avait trop bu. Une fois de plus, la fois de trop. Quelques jours après cet évènement, son entreprise la pousse vers la sortie. « Ce que je regrette, c’est que j’ai appris, à ce moment-là, que le DRH m’avait mis sous surveillance. Il savait, mais il n’a rien fait », relate la soixantenaire, qui avait 48 ans au moment des faits.

« Cette addiction ne m’empêchait pas de gravir les échelons »

Son penchant pour l’alcool remontait à l’adolescence en raison d’un mal-être profond. Plus tard, boire l’aide à se sociabiliser au sein de divers groupes d’amis, tandis qu’en entreprise, sa consommation s’est transformée en addiction. « À mes débuts dans l’immobilier, nous consommions de l’alcool dans tous types d’évènements. Les événements étaient même des prétextes pour en consommer. L’alcool était de qualité, gratuit et à volonté. C’était un outil managérial : l’alcool participait à créer une bonne ambiance entre les collaborateurs, motiver, fidéliser », caricature-t-elle, en précisant que ce phénomène a évolué depuis.

Ensuite, c’est le décès de son mari qui l’a fait « véritablement basculer dans l’alcoolisme » à 36 ans. Il lui faudra 12 années supplémentaires, et des centaines de petites fioles remplies de vodka et de jus d’orange, ingurgitées en cachette pendant ses journées de travail, avant que sa chute fatidique n’entraîne son licenciement. « Pendant toutes ces années, seul l’alcool comptait. Toute ma vie s’organisait autour de cela. Le plus surprenant, c’est que cette addiction ne m’empêchait pas de gravir les échelons. Jusqu’au moment où mes supérieurs et mes collègues ont commencé à s’en apercevoir. » Cela passe par divers symptômes physiques : le visage rouge et bouffi, les yeux humides, les cheveux mal peignés, une odeur forte. Mais aussi, comportementaux : retard, instabilité, agressivité, incapacité à se rendre à des réunions. « Certains me couvraient, d’autres ignoraient le problème. Plus le poste hiérarchique est élevé, plus on a honte d’en parler, car on a un devoir d’exemplarité. J’aurais aimé que quelqu’un me tende la main. Je l’aurais saisie ! »

Ne pas interdire l’alcool en entreprise, mais réduire les quantités

À la suite de son licenciement, Laurence Cottet s’est sevrée et formée aux dépendances. Elle fait désormais le tour des entreprises pour alerter sur leur dangerosité et comment les prendre en charge. « Il y a plus de salariés concernés que ce que l’on croit. Les entreprises ne peuvent pas fermer les yeux. Elles ont une part de responsabilité« , pense-t-elle. Aussi, elle suggère au plus grand nombre d’apporter des solutions. Plusieurs mesures sont possibles : mener des campagnes de prévention autour des signes révélateurs d’une addiction, former les managers, mettre en place un référent au sein de l’entreprise, rediriger vers des professionnels (médecins et psychologue du travail) afin d’entamer un parcours de soins : « Les RH, le manager ou le référent peuvent l’aider à libérer sa parole. L’essentiel est de planter une graine dans son esprit. S’il se sent suffisamment en confiance, le salarié les sollicitera de lui-même. »

Pour entreprendre ce chemin vers la guérison, précise l’ancienne dirigeante, il est préférable d’être en congés maladie. « Cela permet de se concentrer pleinement sur le traitement à suivre. L’entreprise peut, ensuite, laisser une seconde chance au collaborateur. Ne pas le condamner dès son premier faux pas. »

L’une des dernières mesures à déployer passe par la limitation des quantités d’alcool dans le cadre d’évènements professionnels : « Interdire complètement la consommation d’alcool par l’entreprise serait contre-productif. Il fait partie de la fête, de notre héritage français. Les équipes trouveraient d’autres moyens pour boire ensemble et célébrer leurs résultats. Mieux vaut réduire les quantités mises à disposition, limiter la durée pendant laquelle les salariés peuvent consommer, et servir d’autres boissons non alcoolisées. En fin de soirée, des éthylotests doivent être proposés pour s’assurer que tout le monde rentre en sécurité », termine Laurence Cottet. En d’autres termes, la consommation d’alcool doit être « responsable. » C’est pourquoi, l’addictologue préfère parler d’un mois de janvier « sobre », plutôt que d’un mois de janvier « sec ».

Source Courrier Cadres - Léa Lucas