Quand l’overdose d’emails met les managers (et leurs équipes !) sous pression

Rédigé le 24/01/2025

Hyperconnexion, sursollicitation, incivilités… L’omniprésence des outils numériques a profondément transformé notre manière de travailler et de communiquer. Le management n’est pas en reste, avec une gestion souvent mal maîtrisée des messageries, entraînant des pratiques digitales parfois inadaptées, mais néanmoins surmontables. 

Selon un rapport de l’OICN (Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique), les emails demeurent le principal outil de communication interne en entreprise : chaque semaine, un collaborateur reçoit en moyenne 135 messages, un manager 205, et un dirigeant jusqu’à 342. Ce flux incessant, loin d’être anodin, exerce une pression considérable sur les équipes.

Outre leur volume, ces échanges numériques révèlent quelques dérives. Selon une autre étude de l’OICN, 20 % des emails professionnels sont envoyés en dehors des horaires standards, un chiffre qui grimpe à 28 % chez les cadres dirigeants. Plus marquant encore, 66 % d’entre eux travaillent plus de 50 soirs par an. Résultat : un « travail omniprésent » qui brouille les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, avec des conséquences directes sur le bien-être et la santé mentale.

Comment expliquer cette submersion numérique qui affecte tous les niveaux de l’organisation ? Et surtout, quel rôle managers et dirigeants peuvent-ils jouer pour encourager une utilisation plus raisonnée des emails ?

Emails : 4 dérives numériques qui fragilisent les collaborateurs

Adopté en 2016 et entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2017, le droit à la déconnexion vise à réguler l’utilisation des outils numériques pour assurer le respect des temps de repos et de la vie personnelle des salariés. Pourtant, une décennie plus tard, une enquête menée par l’Ugict-CGT révèle que seuls 36 % des salariés déclarent bénéficier d’un dispositif de droit à la déconnexion dans leur entreprise. Cette absence de cadre laisse place à quatre dérives alimentées à tous les niveaux de l’organisation :

  • Surcharge informationnelle à tous les niveaux

Le volume d’emails professionnels constitue une charge mentale importante pour toute la ligne hiérarchique. En moyenne, 34 % des dirigeants reçoivent plus de 50 emails par jour, selon une enquête FLASHS pour l’hébergeur web Hostinger. Les dirigeants consacrent plus d’une heure quotidienne à les traiter (52 %, contre 37 % des employés). Suzy Canivenc, directrice scientifique de Mailoop et chercheure pour l’OICN, explique que cette boucle de l’hyper-sollicitation numérique trouve ses racines dans des facteurs organisationnels et culturels : « Plus un collaborateur monte dans la hiérarchie, plus il est sollicité et, en retour, émet lui-même des emails. Ce phénomène amplifie les flux d’information, sans que les outils ou pratiques de communication soient adaptés. »

Selon l’experte, les managers, en tant que relais et régulateurs des pratiques numériques au sein de leurs équipes, ne bénéficient souvent pas de l’accompagnement nécessaire pour adopter des usages numériques réfléchis. Or, cette surcharge informationnelle est source d’irritation : 17 % des salariés et 20 % des dirigeants pointent la quantité excessive de messages comme principale source de frustration, suivie par la pression de répondre rapidement (16 % et 17 %, selon l’enquête FLASHS).

  • Hyperconnexion normalisée par le télétravail

L’étude de l’OICN révèle que l’hyperconnexion se manifeste en particulier chez les dirigeants, qui se connectent massivement en dehors des heures de travail : 35 % des soirées et 52 % des week-ends sont consacrés au traitement des emails. Le « congé numérique » semble être une rareté : près de 44 % des collaborateurs et 68 % des managers bénéficient de moins de deux semaines par an sans envoyer de courriels professionnels, selon la même source. 

Ces habitudes se sont progressivement installées avec l’accélération – mal maîtrisée – du télétravail, comme l’explique Suzy Canivenc : « D’abord imposé par l’urgence sanitaire de 2020, puis par les exigences salariales, le travail à distance n’a été guidé que par des contraintes extérieures. Les entreprises n’ont pas pris le temps de réfléchir à une adaptation structurée et cohérente de la flexibilité en fonction des besoins réels des activités opérationnelles. »  Cette absence de réflexivité a largement amplifié le phénomène d’hyperconnexion où la porosité entre vie professionnelle et personnelle se normalise, créant ainsi une culture de la disponibilité permanente. 

  • Stress numérique et sur-réactivité

Le stress lié aux emails se manifeste de manière particulièrement marquée lors des retours de congés : 62 % des salariés et 75 % des dirigeants déclarent ressentir une anxiété en rouvrant leur messagerie après une pause. Une situation dont témoigne Séverine G., manager d’une équipe de quinze personnes dans une DSI : « J’ai dû m’absenter exceptionnellement durant un mois. À mon retour, j’étais face à une montagne de mails non lus. En parallèle, je dois gérer un flux constant d’informations via une multitude de canaux et de notifications… Tout ceci était difficilement absorbable. »

L’OICN met également en lumière un effet secondaire du stress numérique : la sur-réactivité. À titre indicatif, 50 % des réponses des managers à leurs mails sont envoyées en moins d’une heure. Ceci traduit une volonté de répondre rapidement pour éviter une accumulation de messages, souvent perçue comme un signe de professionnalisme. Toutefois, cette réactivité compulsive finit par instaurer un environnement de pression latente, où « débrancher » devient une exception plutôt qu’une règle. 

  • Comportements inappropriés et incivilités

Les emails professionnels sont aussi le reflet de comportements problématiques, soulevant des questions de respect et de professionnalisme. Selon l’enquête FLASHS, près de 20 % des salariées et 40 % des dirigeantes déclarent avoir reçu des messages à connotation intime ou séductrice, une situation particulièrement fréquente chez les jeunes femmes : 45 % des 18-24 ans rapportent avoir été confrontées à de tels messages. De manière encore plus marquée, plus de la moitié des dirigeantes (53 %) affirment avoir vu leurs compétences remises en question par email, une expérience également partagée par 38 % des salariées. Ces pratiques mettent en lumière une dimension sociale préoccupante, où les échanges numériques deviennent le théâtre de comportements inappropriés ou d’incivilités. 

Sobriété managériale : 5 pistes pour un usage raisonné des emails 

< >Prendre la mesure des défis numériques grâce aux données Insuffler une approche fondée sur l’amélioration continueLa mise en place d’un cycle d’amélioration continue, ajustant les pratiques chaque année en fonction des besoins identifiés.Une approche pédagogique, qui réoriente les organisations cherchant des réponses rapides (comme l’adoption d’outils tels que Teams) vers une réflexion plus globale sur la collaboration.Co-créer une charte numérique fondée sur le travail réelDévelopper l’empathie digitale au sein de son organisation Bâtir (et tester) sa propre écologie numérique   

Source Courrier Cadres - Laure Girardot