La récente démission de Philippe Carli, patron du groupe Ebra, pour avoir "liké" certaines publications sur les réseaux sociaux donne matière à réfléchir. Sous couvert de liberté d'expression, peut-on tout dire et tout faire sur les réseaux sans risquer le licenciement ? Pas si sûr, selon Xavier Berjot, avocat spécialisé en droit du travail, et en gestion des RH.
Que dit la loi en matière de pratiques sur les réseaux lorsqu’on est employé dans une entreprise ?
Xavier Berjot (XB) – En France, la législation ne comporte pas de dispositions spécifiques régissant l’utilisation des réseaux sociaux par les salariés. Toutefois, plusieurs principes généraux du droit du travail s’appliquent. En cas de manquement à ces obligations, le salarié s’expose à des sanctions disciplinaires, pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave, selon la nature et la gravité des faits reprochés.
- Liberté d’expression : Les salariés bénéficient de la liberté d’expression, y compris sur les réseaux sociaux. Cependant, cette liberté connaît des limites, notamment l’interdiction de tenir des propos injurieux, diffamatoires ou discriminatoires à l’encontre de l’employeur ou de l’entreprise.
- Obligation de loyauté : Le salarié doit faire preuve de loyauté envers son employeur. La divulgation d’informations confidentielles ou le dénigrement public de l’entreprise peuvent constituer une violation de cette obligation.
- Respect de la vie privée : Les publications sur des comptes personnels avec des paramètres de confidentialité stricts peuvent être considérées comme relevant de la vie privée. Toutefois, si les paramètres de confidentialité rendent les publications accessibles à un large public, elles peuvent être considérées comme publiques, et l’employeur pourrait y avoir accès.
Dans les faits, chaque entreprise a sa politique en la matière ?
XB – Effectivement, en l’absence de réglementation spécifique, chaque entreprise peut définir sa propre politique concernant l’utilisation des réseaux sociaux. Certaines intègrent des clauses spécifiques dans le contrat de travail, adoptent un règlement intérieur ou mettent en place une charte d’utilisation des réseaux sociaux. Ces documents précisent les attentes de l’employeur et les règles à respecter par les salariés. Par exemple, une entreprise peut restreindre l’accès à certains sites pendant les heures de travail ou interdire la publication de contenus liés à l’entreprise sans autorisation préalable. Il est donc essentiel pour chaque salarié de prendre connaissance des politiques internes de son employeur en la matière.
Alors, concrètement, comment savoir ce que j’ai le droit de faire/de dire, et de ne pas faire/ne pas dire, sur les réseaux ?
XB – La liberté d’expression permet aux salariés de s’exprimer librement, mais cette liberté n’est pas absolue. Elle ne doit pas porter atteinte aux intérêts légitimes de l’entreprise, ni dépasser les limites de la critique admissible. Par précaution, en cas de doute, il faut interroger son supérieur hiérarchique direct afin d’éviter une situation problématique. Un bad buzz arrive très vite et il convient d’être extrêmement vigilant sur les réseaux sociaux. Pour déterminer ce qui est permis ou non sur les réseaux sociaux :
- Consulter les documents internes : Prendre connaissance du règlement intérieur, des chartes informatiques ou des politiques spécifiques concernant l’utilisation des réseaux sociaux.
- Faire preuve de discernement : Éviter de publier des informations confidentielles, des critiques publiques ou des propos pouvant nuire à la réputation de l’entreprise.
- Paramètres de confidentialité : S’assurer que ses comptes personnels soient configurés de manière à protéger sa vie privée. Cependant, même avec des paramètres stricts, il est prudent de considérer que tout contenu publié en ligne pourrait potentiellement devenir public.
Si une procédure de licenciement est lancée, suite à une activité sur les réseaux sociaux jugée non conforme par l’employeur, des recours sont-ils possibles pour le salarié ?
XB – Oui, un salarié peut contester un licenciement qu’il estime abusif devant le conseil de prud’hommes. Lors de la procédure, plusieurs éléments seront examinés :
- Caractère public ou privé des publications sur les réseaux : Des propos tenus dans un cadre privé, accessibles uniquement à un cercle restreint, peuvent être protégés par le droit au respect de la vie privée. À l’inverse, des publications accessibles à un large public peuvent être considérées comme publiques.
- Proportionnalité de la sanction : Les juges évalueront si la sanction disciplinaire est proportionnée à la gravité des faits reprochés.
- Preuve des faits : L’employeur doit apporter la preuve des faits reprochés au salarié. Toutefois, cette preuve doit être obtenue de manière loyale et ne pas porter atteinte de manière disproportionnée à la vie privée du salarié.
Pour conclure, il existe autant de décisions de justice que de cas de figure, selon l’avocat. Dès 2011, un salarié avait tenu sur Facebook des propos injurieux et calomnieux vis-à-vis de son employeur et de ses supérieurs hiérarchiques. La Cour a estimé que l’employeur ne pouvait prouver que ces propos étaient publics. Le salarié n’ayant pas rendu son compte accessible à un large public, les propos relevaient de la sphère privée. Le licenciement a, donc, été jugé sans cause réelle et sérieuse. À l’inverse, en 2022, un salarié a publié sur un réseau social des images protégées par une obligation de confidentialité. La Cour a confirmé que la diffusion d’informations confidentielles constituait une faute justifiant le licenciement.
Source Courrier Cadres - Léa Lucas