Comment le télétravail favorise le syndrome de l’imposteur

Rédigé le 14/02/2025

Le télétravail et l'hybridation peuvent créer une forme d'invisibilité du salarié, qui échappe au champ visuel de son manager et de ses collègues. Pour Caroline Diard, professeure en management des Ressources Humaines à TBS Business School, cela peut nourrir un syndrome de l'imposteur s'il ne reçoit pas assez de feedbacks positifs.

Selon vous, le télétravail et l’hybridation du travail peuvent créer une invisibilité du salarié. Comment cette moindre visibilité auprès de son manager et de ses collègues peut-elle alimenter un syndrome de l’imposteur ?

Le télétravail implique d’être à distance une partie du temps, échappant ainsi au champ visuel. Hormis quelques visioconférences ponctuelles, le collaborateur devient littéralement invisible. 

Il est clair, si l’on se base sur les recherches actuelles, qu’un salarié qui ne se sent pas légitime aura le sentiment de ne pas être à sa place ; un phénomène connu sous le nom de syndrome de l’imposteur. Ce manque de légitimité découle souvent d’une impression de faible performance. Or, sans retours positifs ni valorisation de son travail, difficile de se sentir performant. 

Mon hypothèse est donc que le télétravail, en réduisant la visibilité, diminue les occasions d’être valorisé. Sans forcément se sentir mis à l’écart, le collaborateur peut alors avoir l’impression de ne pas être à sa place.

Des contacts entre le manager et le salarié à distance restent possibles, notamment par visioconférence. Cela vous semble insuffisant ?

Bien sûr, des échanges ont lieu, en particulier par visio. Mais ce qui peut faire défaut, c’est le retour d’expérience, le feedback dans un sens comme dans l’autre. En se limitant à un simple tunnel de visioconférences, on aura tendance à se concentrer sur le règlement des affaires courantes et des problèmes, sans nécessairement prendre le temps de fournir des retours.

Une étude de Madeleine Besson, chercheuse à l’IMT Business School, conclut qu’à distance, l’attention se porte uniquement sur les résultats, avec une approche binaire : objectif atteint ou non. Mais derrière, le feedback fait défaut, ce qui s’avère très frustrant, anxiogène et dévalorisant. Un sentiment d’imposture peut donc émerger même en cas de réussite, même face à des preuves objectives d’un travail correctement réalisé.

Selon vous, que devraient faire les managers pour lutter contre le syndrome de l’imposteur en télétravail ?

Dans l’entreprise, le manager a un rôle clé à jouer. Quand il encadre des collaborateurs à distance, il doit s’efforcer de ne pas avoir l’impression de gérer un simple agent derrière un écran. Face à une difficulté, même s’il faut parfois hausser le ton, il est indispensable de réagir. À l’inverse, quand le travail fourni est excellent, il ne faut pas hésiter à féliciter, à célébrer les victoires.

J’ai le sentiment que le filtre de la distance et de la technologie a tendance à lisser les relations et les émotions. Les retours sur ce qu’on réalise se font plus rares. L’identité au travail en pâtit probablement. Pour lutter contre le syndrome de l’imposteur en télétravail, le manager doit donc valoriser, rassurer et rendre visible le travail accompli à distance. Lors des réunions en visioconférence, on s’efforce de respecter l’ordre du jour, de prendre des décisions, de tenir les délais, tout en composant avec les contraintes de la distance. Mais ce faisant, il ne reste plus de place pour l’informel, pour dire que c’est bien ou qu’on pourrait s’améliorer. Le feedback passe à la trappe.

Comment rendre visible le travail accompli à distance et faire un vrai feedback ?

Tous les collaborateurs doivent être invités à participer à l’action collective. Par exemple, un collaborateur peut présenter à l’équipe un produit qu’il a réalisé et qui fonctionne bien, en analysant les raisons de ce succès. Cela valorise son travail en montrant les tenants et aboutissants. Il faut dépasser l’approche comptable imposée par le distanciel.

En télétravail, les managers ont un rôle clé pour garantir la participation de chacun aux échanges collectifs. Un collaborateur silencieux ou ne posant aucune question lors d’une réunion devient véritablement invisible. Pour le remettre en lumière, il faut solliciter son avis, rebondir sur ses réalisations et intégrer ses travaux dans la discussion. Sans cela, il reste en arrière-plan.

A noter que le syndrome de l’imposteur touche généralement des personnes ayant une faible estime d’elles-mêmes. Dans le cadre du travail hybride, la confiance dans la relation managériale à distance est d’autant plus importante. Les télétravailleurs l’expriment dans les enquêtes : ils apprécient la confiance qui leur est accordée. À l’inverse, un manque de confiance de la part du manager risque d’engendrer une perte de confiance en soi.

 

Pensez-vous qu’au-delà du management, il soit possible d’agir sur l’organisation du travail, en favorisant la transversalité et les temps collectifs en présentiel, pour atténuer les effets négatifs de l’invisibilité liée au télétravail ?

Cette question est au cœur des réflexions des entreprises. Des accords ont été mis en place pour définir des journées où tous les collaborateurs doivent être présents.

L’idée serait ainsi d’organiser des temps collectifs plus réguliers pour lutter contre l’invisibilité et le syndrome de l’imposteur en télétravail. Il s’agit d’un vrai enjeu de santé publique. L’hyperconnexion s’apparente à un « syndrome du premier de la classe » : moins visibles qu’auparavant, les collaborateurs cherchent à démontrer une excellence permanente au prix d’une connexion quasi-continue.

Cette quête de reconnaissance expose particulièrement au risque d’épuisement professionnel. Le burn-out ne constitue pas un simple avertissement mais marque souvent un point de rupture définitif, contraignant à une réorientation professionnelle. La prévention devient donc primordiale face à ces risques psychosociaux.

Les institutions publiques – INRS, ANACT et organisations syndicales en tête – alertent sur cette problématique. Mais la responsabilité incombe aussi aux entreprises, et plus spécifiquement à l’encadrement. Les managers doivent par exemple communiquer sur le fait de ne pas s’écrire pendant les week-ends ou les congés.

Source Courrier Cadres - Fabien Soyez