« Quiet Hiring » : la pratique à double tranchant en vogue dans les entreprises

Rédigé le 21/02/2025

Cette tendance, répandue dans les entreprises en France, vise à valoriser la mobilité interne. Si c'est un levier puissant de motivation et de performance, il ne doit pas être actionné n'importe comment ! Au risque de tomber dans certains écueils dangereux pour la santé physique et mentale des collaborateurs, et la performance de l'entreprise. Décryptage de Julien Matsis, directeur général de Tellent.

Si le « Quiet Hiring » (« recrutement silencieux » en français) n’a rien de nouveau, il se répand dans les entreprises françaises. « Elles y ont de plus en plus recours depuis quelques années« , confirme Julien Matsis, directeur général de Tellent. Cette méthode consiste à promouvoir un salarié en interne afin de le faire monter en compétences, tout en comblant un besoin (temporaire ou durable) sur un poste. Mais, cette promotion se fait par une voie officieuse. « Ce besoin peut être le résultat d’une démission, d’un licenciement, d’une réorganisation interne, ou encore d’un arrêt maladie de longue durée », détaille le dirigeant.

En temps normal, les RH ou le manager auraient immédiatement recruter un collaborateur, y compris de l’extérieur, pour combler le poste vacant en diffusant une offre d’emploi. Dans le cadre du « Quiet Hiring », ils ont tendance à attendre. Soit parce qu’ils n’ont pas le temps de recruter, soit parce qu’ils ne trouvent pas le bon candidat. Ou encore, parce qu’« ils observent la situation, évaluent si elle est gérable, ou non, avec une personne en moins au sein d’une équipe, et confient les responsabilités à un autre collaborateur. Celui-ci cumule, alors, de nouvelles missions aux actuelles », explique Julien Matsis. Les RH ou le manager se tournent, bien souvent, vers un salarié dont ils connaissent la conscience professionnelle et/ou les compétences, l’ambition de progresser, voire la passion pour son métier. Et ils lui demandent de « faire plus et mieux, avec moins de moyens financiers. C’est une logique de réduction de coûts », note-t-il.

Cette méthode peut être positive pour le bon fonctionnement de l’entreprise. D’une part, elle permet aux collaborateurs qui le souhaitent d’avoir des perspectives d’évolution stimulantes : « Si tu veux évoluer au niveau supérieur, agis comme si tu y étais déjà », dit le dicton. « Certains profils sont prêts à dépasser temporairement le cadre de leurs missions pour gravir les échelons », complète le DG. D’autre part, cela évite aux RH de s’inscrire dans un processus de recrutement long et coûteux, sans garantie de trouver la bonne personne. « Les talents internes sont opérationnels et rapidement mobilisables. Ils sont souvent désireux de progresser. L’entreprise les connaît et leur fait confiance. Dans ce cas de figure, c’est un gain d’efficacité, d’agilité et de satisfaction pour tout le monde ! », développe le dirigeant. D’ailleurs, cette méthode est très plébiscitée par les entreprises américaines, principalement dans le domaine de la tech.

La situation doit rester temporaire

Cependant, cette méthode peut aussi s’avérer sournoise – si ce n’est dangereuse -, lorsqu’elle est mise au service d’une stratégie d’entreprise toxique. Ce recrutement « silencieux » signifie, en effet, que le processus de recrutement est « opaque » : pas d’équité entre les salariés pouvant prétendre au poste, pas d’accompagnement lors de cette prise de poste, ni de formation pour le salarié promu, hausse de la charge de travail, salaire inchangé. Sous couvert d’opportunité, le « Quiet Hiring » se retourne contre un salarié impuissant. Ce dernier finit par s’épuiser physiquement et psychologiquement. « Pour que cette méthode reste efficace, il ne faut pas que cette période d’incertitudes dure trop longtemps », insiste le DG, avant d’ajouter : « Il faut également que le salarié choisisse cette situation, et pas qu’il la subisse contre son gré. Le Quiet Hiring peut convenir à certains, pas à d’autres. Il s’agit d’identifier les bonnes personnes ».

Aussi, si les RH ou le manager ne formalisent pas la situation à moyen terme, c’est au salarié de prendre les devants. La prise en responsabilités doit être officialisée, le nouveau périmètre de travail clairement déterminé, et le salaire revalorisé en conséquence. Dans le cas contraire, l’entreprise risque d’être responsable de déceptions, voire de burn-out, conduisant au désengagement des équipes, et à des départs précipités. « La mobilité interne reste un levier puissant de motivation et de performance. Mais, il est essentiel de trouver un juste équilibre entre efficacité et de possibles abus liés à cette méthode. Pour ce faire, l’organisation doit privilégier la transparence, la reconnaissance, et l’accompagnement », martèle le DG.

Source Courrier Cadres - Léa Lucas