Pourquoi est-il urgent que le manager devienne un « accompagnateur de l’apprentissage » ?

Rédigé le 07/03/2025

lors que les outils numériques déstructurent la relation traditionnelle du "sachant-apprenant", l'intelligence artificielle s'apprête à la dynamiter. Le manager ne va définitivement plus pouvoir se positionner comme le seul détenteur du savoir. Alors, quels nouveaux atouts peut-il exploiter ? Éléments de réponse de Lotfi Karoui, doyen de la faculté et la recherche à l'ISC Paris.

Chef d’État, prêtre, médecin… Pendant des siècles, la détention du pouvoir n’allait pas sans la détention de connaissances spécifiques, instaurant ainsi des relations verticales de « sachant-apprenant », « professeur-élève », « manager-managé ». Or, depuis l’essor des outils numériques dans les années 2000, cette forme de relation s’est fragilisée. En un clic, tous les internautes munis d’un téléphone portable ou d’un ordinateur peuvent aller chercher ou vérifier une information. D’une minute à l’autre, l’ignorant devient sachant, et peut donc confirmer ou infirmer les propos avancés par un supérieur hiérarchique.

Inutile, donc, de préciser que l’intelligence artificielle va représenter un raz-de-marée en la matière. En une fraction de seconde, elle permet/permettra d’accéder encore plus vite à la compréhension (voire à la maîtrise) d’informations complexes et nombreuses. « L’intelligence artificielle vient définitivement rompre la relation du sachant-apprenant, y compris en entreprise, affirme Lotfi Karoui, doyen de la faculté et la recherche à l’ISC Paris. Il faut se préparer à un recul du pouvoir, de la légitimité du manager traditionnel. Il va devoir s’approprier différemment ses connaissances pour leur trouver une utilité nouvelle, un usage nouveau. Le rôle du manager va être redéfini. Il va devenir un accompagnateur de l’apprentissage. »

Capitaliser sur l’expérience

En d’autres termes, le premier chantier de ce manager-accompagnateur sera de gagner sa légitimité en empruntant d’autres voies, notamment auprès d’équipes jeunes. « Les managers devront capitaliser sur d’autres forces, comme leurs expériences de terrain et/ou dans d’autres organisations. Plus elles seront riches et variées, plus la transmission auprès des collaborateurs sera intéressante. » Cette expérience comprend la maîtrise d’un entremêlement de connaissances. « Une idée peut être brillante, mais s’inscrire dans un contexte organisationnel, des pratiques sectorielles, une législation complexe, devenant inapplicable. Sans un manager expérimenté, l’idée brillante se transformerait en catastrophe industrielle« , illustre Lotfi Karaoui.

L’autre chantier majeur qui attend les « accompagnateurs d’apprentissage », ou les « chief learning officer » en anglais, sera donc de rappeler l’importance de posséder (malgré tout) un socle intellectuel de base, permettant le recours systématique à l’esprit critique. Parmi le flot d’informations générées par l’IA, de nombreuses fausses informations – ou a minima inexactes – vont circuler, principalement en ligne. Conséquence ? Il s’agira de redoubler de vigilance pour les traquer. « C’est un énorme enjeu !, lance-t-il. Les professeurs d’abord, puis les managers devront sensibiliser au tri de l’information, à différencier le vrai du faux, à vérifier les sources, à creuser le sérieux des sources, pour toujours justifier les propos tenus. »

Enfin, l’un des derniers chantiers de ces managers-accompagnateurs sera de garantir l’accès à des formations à ces nouveaux outils, de convaincre les récalcitrants, et de rassurer les plus inquiets. Car, pour l’heure, l’intelligence artificielle n’est ni entre toutes les mains, ni complètement maîtrisée. « Il ne faudrait pas que l’IA creuse davantage les fractures sociale, territoriale, de genre. Les managers seront les garants du vivre-ensemble ! », poursuit le doyen de l’ISC Paris. Le « Baromètre du bonheur au travail vu par les jeunes », publié mardi 4 mars 2025, démontre notamment que parmi les plus jeunes actifs : 25 % ne se servent jamais de cet outil, 34 % l’utilisent peu, ou encore 40 % ne s’y sentent pas préparés. Si les jeunes interrogés sont optimistes quant au gain de temps, à la possibilité de s’auto-former, ou d’être plus créatifs, leurs ressentis restent ambivalents à ce stade, car ils sont teintés d’inquiétude. Les jeunes femmes et les jeunes de province sont plus concernés que les hommes, cadres, résidant en Île-de-France.

À noter que ce changement de doctrine dans les relations managériales en entreprise va renforcer la nécessité de faire coopérer les différentes générations. « Dans un monde où la création de connaissances n’a jamais été aussi foisonnante et rapide, le besoin de tisser des alliances devient fondamental. Plus personne ne détient et ne détiendra l’intégralité des connaissances, du savoir-faire. Les jeunes ont de la fougue et certaines connaissances, notamment des outils digitaux, tandis que les séniors ont de l’expérience, la capacité de transmettre. S’ils travaillent ensemble, ce binôme peut faire des miracles », termine-t-il.

*Le 3ème « Baromètre du bonheur au travail vu par les jeunes », mené conjointement par le groupe ISC Paris et BVA Xsight, publié ce mardi 4 mars 2025, est le résultat d’une enquêté réalisée par Internet, auprès d’un échantillon représentatif de 1051 jeunes français âgés de 18 à 24 ans.

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