En mars 2020 le nombre de cas d’une maladie nouvelle, le Covid-19, a explosé et la France a été confinée. Les entreprises ont généralisé le télétravail et la digitalisation. Cinq ans plus tard, à quoi ressemble le management dans « le monde d’après » ?
L’apprentissage de l’incertitude
La première conséquence du Covid-19 a été l’apprentissage de l’incertitude, c’est-à-dire le fait de se sentir fragile, anxieux, désarçonné et en incapacité de comprendre un environnement volatile, incertain, chaotique et ambigu (VUCA).
La légitimité des figures d’autorité et des institutions, dont les managers et les experts, était déjà largement entamée dans nos sociétés contemporaines. Pendant la crise, lorsqu’un médecin s’exprimait à la télévision et que le virus lui donnait tort dans les jours qui suivaient, c’était comme si ce qui restait de nos certitudes sur le monde s’évanouissait.
Une étude a montré que plus de la moitié d’entre nous a une forte aversion pour l’incertitude. Or, celle-ci s’accentue avec l’intelligence artificielle générative, les conflits internationaux, le changement climatique, les bouleversements politiques, la polarisation sociétale et les difficultés économiques.
Après la crise, le management a continué à développer le télétravail et la digitalisation pour faire face à ces incertitudes. Le nombre de télétravailleurs, au moins occasionnels, est ainsi resté en 2023 à un niveau de 26% versus 31% en 2021 et 9% en 2019, selon une étude de la Dares. Cette évolution a pris deux formes contradictoires : plus de contrainte et plus de libération.
La mauvaise nouvelle : l’intensification des contraintes
La crise du Covid-19 a catalysé dans les entreprises une intensification des contraintes qui était déjà engagée. Le travail à distance a éparpillé géographiquement les équipes, chacun travaillant plus individuellement (des outils comme Slack permettent même le travail collaboratif asynchrone), ce qui rend difficile le partage d’une vision d’entreprise donnant du sens et d’une culture collective apportant du lien.
De nouveaux risques psychosociaux se sont réalisés. 45% des salariés en télétravail se sentent aujourd’hui isolés, selon une étude de l’American Psychological Association. Les temps de travail et de vie personnelle se sont interpénétrés sans contrôle. 40% des salariés sont en souffrance, et pour 44%, leur stress a même augmenté depuis la pandémie.
La digitalisation est de surcroît souvent utilisée pour augmenter le contrôle individualisé. La traçabilité des connexions (information sur les frappes sur le clavier et sur la durée de visite sur les applications) se transforme pour 54 % des personnes en pression à être disponible en permanence (étude Microsoft de 2023). Le suivi serré des KPI (terme usuel pour les indicateurs clés de performance) se traduit pour 65 % des salariés par une trop forte pression à la performance.
Les relations à distance sont plus tendues car l’empathie est difficile à ressentir avec Zoom ou Teams. Enfin l’introduction, en général non discutée collectivement, de systèmes d’intelligence artificielle qui optimisent les tâches et évaluent automatiquement les actions favorisent une nouvelle forme d’aliénation au travail.
La bonne nouvelle : la libération des énergies
La crise du Covid-19 a aussi, en parallèle, accentué une libération des énergies déjà pratiquée dans les organisations et qui se confirme. Le confinement a obligé les entreprises à mettre leurs salariés en télétravail de façon précipitée à un moment où elles n’avaient pas encore mis au point leurs systèmes de contrôle à distance. Elles se sont alors très majoritairement rendu compte que la qualité du travail et la productivité se maintenaient voire augmentaient.
Après la crise, beaucoup ont mis en place des politiques de télétravail et d’horaires flexibles, laissant les salariés définir eux-mêmes leur équilibre vie professionnelle-vie privée, ce type de politique réduisant, selon une étude Gallup, les cas de burn-out de 15%.
Les managers ont aussi dû expérimenter de nouvelles méthodes faisant appel à « l’empowerment », c’est-à-dire la délégation du pouvoir de décider et d’agir. Ils ont appris à discuter les objectifs afin qu’ils soient mieux acceptés, à laisser la main à leurs collaborateurs, à se positionner en soutien et à animer des partages d’expérience. La diffusion d’outils comme la méthode d’accompagnement GROW, la prise de décision collective déléguée, le feedforward en complément du feedback montre que de nombreuses entreprises font le choix de la confiance.
Plusieurs études récentes montrent en outre que le leadership fondé sur l’empowerment augmente l’engagement de plus de 20%, la coopération de l’ordre de 30%, l’innovation de 25% et la qualité perçue des produits et services de 15%.
Depuis le Covid-19, le management traite l’incertitude par le télétravail et la digitalisation à la fois en accentuant les contraintes et la pression et en libérant les énergies par la responsabilisation. Nous ne savons pas encore dans quel sens penchera la balance, même si l’approche libératrice facilite l’attraction et la conservation des talents. Ce que nous savons en revanche c’est que nous pouvons tous jouer un rôle pour peser plus d’un côté ou de l’autre.
Source Courrier Cadres - Par Thierry Nadisic