RSE : d’une prise de conscience massive en entreprise à un désintérêt croissant ?

Rédigé le 21/03/2025

Si la nécessité d'entreprendre des actions en faveur de l'environnement s'est fortement faite ressentir dans les entreprises au moment du Covid-19 en France, qu'en reste-t-il cinq ans après ? Actuellement, seulement 8 % d'entre elles sont véritablement mobilisées sur le sujet. Car, entre temps, d'autres crises se sont immiscées dans leurs priorités. Décryptage de Philippe Vachet, directeur de l'Agence Lucie, spécialisée en politique RSE, Léo Delhon de Litha Espresso, ainsi que Juliette Martin-Châtenet de Septeo.

La prise de conscience collective autour des enjeux environnementaux précède la période pandémique de 2020. Cependant, « les confinements à l’échelle planétaire ont accéléré cette prise de conscience. La situation était tellement soudaine et inédite que tout le monde s’est interrogé sur la viabilité de modes de vie », assure Philippe Vachet, à la tête de l’Agence Lucie, spécialisée dans les solutions et labellisation RSE des organisations. « Nous avons changé notre rapport à la nature, au travail, à la vie en général ». Conséquence ? Les attentes des collaborateurs en la matière se sont renforcées. « Ils sont plus inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants. Ils espèrent que leur entreprise va prendre le sujet au sérieux », note-t-il. Ce n’est pas tout : les candidats sont également plus attentifs aux politiques RSE des entreprises, car ils souhaitent donner plus de sens à leur travail, et les consommateurs plus vigilants à la traçabilité des produits.

Des engagements à plusieurs vitesses

Si, en théorie, tout pousse les entreprises à mettre en œuvre des politique RSE ambitieuses, notamment d’un point de vue environnemental, la réalité est plus contrastée. 5 ans après le Covid-19, plusieurs entreprises se distinguent. D’après l’étude « Les entreprises françaises prêtes à entrer dans les limites planétaires ? », diffusée en novembre 2024, par l’Agence Lucie, Goodwill Management, et Kerlotec : il y a celles dont les dirigeants sont engagés, « car ils sont des citoyens avant tout et se sentent concernés par les questions climatiques« , précise Philippe Vachet. Le modèle économique de leur entreprise est construit sur des modes de fonctionnement respectueux de la planète. Mais, elles ne représentent qu’une minorité (8 %). Ensuite, il y a celles qui avancent sur le sujet de manière modérée (entre 15 et 27 %), car « le changement de leur stratégie ne peut pas se faire du jour au lendemain », explique-t-il. Enfin, la moitié des autres organisations ne font rien (50 %) – pire, certaines font du « green-washing« . Ces scandales sont « extrêmement délétères », selon le patron de l’Agence Lucie, car « ils renforcent la méfiance des candidats, des salariés, et des consommateurs qui ne croient plus aux actions menées par les organisations ».

Litha Espresso fait partie de cette minorité d’entreprises très engagées pour l’environnement. « Nous l’étions avant la crise sanitaire, car c’est une conviction personnelle forte. Je ne m’imaginais pas construire l’activité autrement », confie Léo Delhon, son président. Dès 2019, « tout notre modèle, de la production à la diffusion de nos produits, a été pensé pour préserver l’environnement. 5 ans après le Covid, nous continuons évidemment à être dans cette démarche ». Y compris dans un contexte agité où se mêlent : crise économique, hausse des prix du café allant jusqu’à +147 %, en raison d’une diminution de la production au Brésil et au Vietnam, selon nos confrères du Figaro Economie, retour en arrière de grandes puissances mondiales en matière environnementale. Mais, « il faut rester convaincu que c’est la bonne chose à faire », lance-t-il. « Produire écologique ne veut pas dire plus cher. Nous sommes économiquement performants ! »

L’entreprise Septeo, spécialisée dans les logiciels, fait, elle, partie des entreprises aux engagements plus tardifs et modérés. « Notre stratégie RSE a pris de l’essor à partir de 2021 », raconte Juliette Martin-Châtenet, directrice en charge du sujet. Cette organisation de plusieurs milliers de collaborateurs a mis en place des initiatives pour « créer un élan collectif », précise-t-elle, comme sensibiliser à l’empreinte carbone générée par les usages numériques, l’entretien des équipements informatiques, la gestion des déchets, les trajets domicile – travail, les écogestes du quotidien (climatisation, etc.) En 2025, de nouveaux projets en faveur du numérique responsable devraient voir le jour. « Ce qui est difficile c’est qu’il faut entreprendre à la fois des actions du quotidien, avec des résultats immédiats, auxquelles les collaborateurs peuvent se raccrocher, et en parallèle, entamer une transformation profonde nécessitant de mettre en place une stratégie qui demande plus de temps. Ce n’est pas qu’une action, mais des actions qu’il faut déployer ! ». Pour l’heure, la dirigeante constate que « les salariés du groupe se sentent concernés. Ils veulent s’impliquer. Cela se ressent dès le recrutement avec des candidats qui nous questionnent davantage qu’avant sur notre politique. »

Vers une révolution des actions ?

Cependant, en dépit des petits et grands efforts de chacun, l’étude mentionnée précédemment révèle que les entreprises auraient besoin de trois planètes pour poursuivre leur activité à l’identique sans détériorer l’environnement (pollution de l’air, de l’eau, déchets, artificialisation des sols, etc.). Même celles engagées, dont les actions sont concrètes et mesurables, utilisent deux planètes. Cinq ans après la crise sanitaire, « elles sont plus nombreuses à s’intéresser aux enjeux environnementaux, leurs collaborateurs aussi ont conscience de l’urgence, mais les efforts déployés sont encore largement insuffisants », notamment pour respecter la trajectoire climatique de 1,5° fixée par l’Accord de Paris en 2015, prévient Philippe Vachet.

En l’état actuel des choses, « nous nous dirigeons davantage vers une trajectoire à + 4° à l’échelle globale. Nous n’avons plus le temps de mettre en œuvre de petites actions, même si elles sont utiles à court terme. Il faut une révolution des actions pour atteindre collectivement nos objectifs climatiques à horizon 2050. »

La crise sanitaire semble déjà lointaine ! Depuis 2020, deux autres crises majeures ont ébranlé le monde – géopolitique d’abord, économique ensuite. Les entreprises dont la démarche environnementale était sincère « vont poursuivre leurs efforts », veut croire Philippe Vachet. En revanche, celles dont l’engagement était moins prioritaire « risquent de réduire leurs dépenses, voire mettre le sujet de côté. C’est regrettable, car même si cela représente une perte d’argent au départ, c’est un gain énorme par la suite grâce à une résilience et une résistance plus importante ». Pour rappel, en février 2025, l’Europe a elle aussi rétropédaler en revoyant à la baisse ses ambitions climatiques. Elle s’est positionnée en faveur de la réduction du périmètre d’application de la CSRD ainsi que sur le report des dates d’application. Ce recul vise à favoriser la performance des entreprises européennes face à la concurrence chinoise et américaine grandissante.

Source Courrier Cadres - Léa Lucas