Dans une nouvelle étude, le think tank VersLeHaut alerte sur un phénomène de société méconnu mais croissant : le déclassement professionnel. Alors que le marché de l’emploi est saturé et que les diplômes se sont massivement démocratisés, de nombreux jeunes se retrouvent à occuper des postes en deçà de leur qualification.
C’est mathématique. Depuis 2008, le nombre d’étudiants a doublé en France. Mécaniquement, cela a entraîné une inflation des diplômes, réduisant «leur valeur sur le marché du travail», selon la dernière étude de VersLeHaut - think tank dédié aux jeunes et à l’éducation - intitulée Le travail, un nouvel horizon éducatif. Les résultats parlent d’eux-mêmes : un jeune sur deux en France est aujourd’hui titulaire d’une licence, un jeune sur quatre d’un master*. Résultat de l’équation ? Le déclassement professionnel.
Comprenez par ce terme, un travailleur (salarié, cadre…) qui occupe un emploi inférieur à son niveau de qualification. Par exemple, un diplômé de master postulant à un poste requérant seulement une licence. En cause ? Une saturation des postes dans certains secteurs, un système éducatif qui pousse les étudiants à poursuivre leurs études… Les employeurs vont majoritairement privilégier ces profils plus qualifiés. «Cette dynamique a un impact certain sur le sentiment de reconnaissance des jeunes travailleurs : leur investissement personnel dans des études longues et spécialisées, perçu comme un moyen de sécuriser l’avenir, se heurte à une réalité économique qui fragilise leur position sociale», soulève l’étude.
Les jeunes subissent la «course aux diplômes»
Cette «course aux diplômes» renforce ainsi les inégalités professionnelles. Le faible rendement des études accentue ces disparités : les jeunes diplômés issus de milieux favorisés accèdent plus facilement à l’emploi, notamment grâce à un réseau plus développé, tandis que ceux issus de milieux «plus modestes» restent en marge. Une mise à l’écart encore plus marquée pour les non-diplômés, dans un marché du travail toujours plus concurrentiel… Le diplôme est devenu un «passeport indispensable», y compris pour des postes qui, autrefois, ne demandaient aucune qualification.
Pour Camille de Foucauld, cheffe de projet chez VersLeHaut, les conséquences de ce déclassement sont forcément négatives : «Les effets de ce déclassement, difficiles à quantifier, restent perceptibles à travers des phénomènes comme la grande démission, le quiet quitting ou les bullshit jobs, signes d’un rejet croissant du travail à cause d’une forte frustration, en particulier chez les jeunes». Le déclassement s'accompagne d’une autre problématique, celle du désengagement de la nouvelle génération. «Les jeunes sont pris dans un “à quoi bon” perpétuel : il devient difficile d’être payé dignement pour son travail et l’engagement en entreprise ne semble pas toujours récompensé», explique dans l’étude Emmanuelle Duez, entrepreneuse, et co-fondatrice de l’ONG Youth Forever.
Un problème de représentation de l’emploi
Le think tank propose plusieurs solutions pour sortir de ce modèle. «Les entreprises doivent assumer leur responsabilité éducative en s’engageant aux côtés de l’école pour mieux préparer la jeunesse au marché du travail», propose notamment Camille de Foucauld. Pour l’experte, la fin de l’année de troisième (au collège) doit être repensée pour proposer dès le brevet des formations professionnelles supérieures attractives, intégrant service civique, volontariat ou mobilité internationale. L’étude pointe également des biais de reconnaissance sur des métiers clés, mais trop peu représentés. Certains métiers étant plus représentés que d’autres, les jeunes n’ont pas toutes les cartes en main pour leur avenir professionnel. Selon une étude de l’Arcom, en 2021, deux tiers des personnes représentées à la télévision étaient des cadres supérieurs, alors qu’ils ne représentent que 10% de la population.
«C’est le rôle des grands groupes, des filières professionnelles de valoriser auprès des jeunes les métiers essentiels de demain trop souvent déconsidérés malgré leur utilité et des diplômes de plus en plus exigeants qui freinent l’accès», détaille l’experte. Deux grandes catégories de métiers seront essentielles d’ici 2030 : d’un côté, les métiers de la production, comme zingueur ou couvreur, nécessaires à la rénovation énergétique des logements face à la crise climatique ; et de l’autre, les métiers de l’accompagnement à la personne et du soin, indispensables face au vieillissement de la population. Le long rapport rappelle que ce vieillissement de la population devrait «accentuer les pénuries de main-d’œuvre et renforcer l’importance d’une plus grande adéquation entre les compétences des jeunes et les besoins du marché du travail».
*OCDE, Regards sur l’éducation 2023, «Organisation de coopération et de développement économiques», 2023. Insee, Enquête Emploi, traitements MENJ-MESR-DEPP, 2023.
Source Capital - Chris Ryan