"On aime avoir les gens autour de soi pour les surveiller": pourquoi subitement le télétravail est banni dans les entreprises

Rédigé le 07/07/2025

Stimuler les échanges et l'innovation, entretenir la culture d'entreprise, mais aussi restaurer du contrôle ou pousser les salariés vers la sortie... Voici les raisons pour lesquelles plusieurs entreprises réduisent les possibilités de télétravail.

Petit à petit, les reculs se multiplient. Ces derniers mois, les exemples d'entreprises annonçant une réduction du télétravail se sont multipliés. UbisoftAmazonStellantis... et dernièrement Free ont appuyé sur le frein. La Société générale a également annoncé le passage à un jour par semaine à distance, contre 2 ou 3 actuellement.

Loin d'un retour au tout présentiel, les exemples français montrent plutôt une réduction du nombre de jours de télétravail accordés. Mais cela reflète tout de même un changement du regard porté par un certain nombre de dirigeants français sur le télétravail.

Mais alors comment expliquer ce recul? La confiance bâtie entre les manageurs et les télétravailleurs depuis la crise du Covid est-elle en train de s'étioler? Et surtout pourquoi maintenant?

L'heure du bilan pour l'émulation collective

"On arrive à l’heure des bilans tout simplement", explique Caroline Diard, enseignante-chercheuse en management et RH. "De nombreux accords d'entreprises mis en place en 2021 arrivent à échéance, c'est le moment de se poser des questions: est-ce qu'on va plus loin? Est-ce qu'on freine?"

Les entreprises qui ont décidé de réduire le télétravail n'ont pas communiqué sur une éventuelle baisse de la productivité. Les études sur le sujet ne dessinent d'ailleurs pas de consensus sur une hausse ou une baisse de cette dernière.

Mais selon le vice-président de l'Association nationale des DRH, le problème est clairement dans le manque d'émulation entre salariés. "Il y a deux types de productivité: individuelle et collective, celle des salariés individuellement n'évolue pas significativement en télétravail, ceux qui travaillent peu au bureau travaillent peu chez eux et inversement", explique Benoît Serre. "Mais la productivité collective, celle qui est créée par les interactions, a baissé", assure-t-il à BFM Business.

Les échanges sont moins nombreux et moins spontanés, on perd en innovation, en envie de construire, en dynamique."

Adapter le fonctionnement de l'entreprise au télétravail

Pour Benoît Serre un certain nombre de leçons doivent être tirées, cinq ans après le premier confinement. Tout d'abord, les entreprises qui étaient allées très loin sont revenues en arrière. Comme Stellantis où les employés du siège n'étaient plus présents que 5 jours par mois. Le constructeur a décidé, à terme, de faire revenir ses salariés 3 jours par semaine au bureau.

La direction a notamment mis en avant le renforcement des interactions humaines, l’accueil de nouveaux arrivants, le développement de la culture entreprise. Elle cite aussi l'accélération de l'innovation et du processus décisionnel.

Selon Benoît Serre, raisonner en nombre de jours par semaine a été une autre erreur. "Il y a des périodes où vous avez besoin d'être souvent au bureau, d'autres où vous pouvez être en télétravail", pointe-t-il, soulignant l'avantage de compter en semestre ou même en année.

Par ailleurs, et c'est probablement le point le plus crucial, l'organisation du travail doit être adaptée. On observe qu'un véritable travail hybride n'a pas toujours été mis en place.

"On a cru qu'on pouvait intégrer le télétravail dans le fonctionnement normal de l’entreprise sauf que ça ne marche pas", analyse Benoît Serre.

Il appelle donc à "ne pas faire comme si travailler de chez soi était la même chose que travailler au bureau" et à adapter les process car "sinon les entreprises arrêteront avec le télétravail".

"Des velléités à contrôler davantage"

Mais derrière les arguments organisationnels, y a-t-il également un problème de confiance? C'est le sentiment de Caroline Diard. "En télétravail, le salarié est invisible pour l’employeur et ça peut poser des difficultés à certains manageurs", explique la spécialiste à BFM Business.

"Il semblerait qu'il y ait des velléités à contrôler davantage, une difficulté à lâcher prise."

"En France, on a un management assez vertical, on aime avoir les gens autour de soi pour les surveiller", abonde Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l'UNSA. On pensait pourtant ces réticences françaises dépassées depuis l'expérience du travail à distance pendant le confinement. Car les manageurs et les employeurs sont allés au-delà de ces préjugés. En 2024, 22% des salariés du privé télétravaillaient (avec un rythme d'environ deux jours par semaine), contre seulement 4% en 2019.

Caroline Diard cite des abus de la part d'une minorité de télétravailleurs qui ont pu étioler la confiance des manageurs. "Pour quelques mauvais élèves, c'est la punition collective pour tout le monde", résume-t-elle.

"Dégraisser les effectifs à moindres frais"

Enfin, une autre raison, moins assumée, pourrait expliquer ces reculs, dans un contexte économique moins favorable que pendant le rebond post-Covid. "C'est aussi parfois une mesure déguisée pour dégraisser les effectifs à moindres frais", dénonce Dominique Corona.

"Pour ceux qui sont partis plus loin de leur lieu de travail, qui ont acheté une maison, lorsqu'on leur dit qu'il faut revenir, soit ils doivent déménager, soit ils quittent l'entreprise", poursuit le syndicaliste.

Mais attention, cette stratégie peut être risquée, prévient Caroline Diard. "Les salariés sont très attachés au télétravail, reculer peut entraîner une perte de confiance, de la démotivation, voire de l'absentéisme."

Source BFM Business - Marine Cardot